J’aimerais être dithyrambique, car le roman est très plaisant – là n’est pas le problème – mais quelque chose me retient. Je pense que le problème du livre, ou au moins de ma lecture, est qu’il m’en a évoqué d’autres, bien meilleurs, et qu’un effet d’échelle se joue. François, universitaire vieillissant et suicidaire, s’échappe de la prison où il est incarcéré à la faveur du climat de guerre civile pré-apocalyptique de la France alternative du roman. Il veut se faire euthanasier en Suisse, et rencontre lors de son périple Constance, une jeune femme violoncelliste qui a déjà bien vécu et se rend elle aussi en Suisse. Ils sont arrêtés par une milice de post-adolescents catholiques qui les font prisonniers.

Rien n’est mauvais, l’intrigue fonctionne, on croit aux personnages, et il y a même de beaux moments de grâce : Constance joue du violoncelle dans des endroits improbables en pleine guerre civile (rien que l’idée de se balader avec son violoncelle est magnifique), et François se fait Shéhérazade en racontant des histoires à ses jeunes geôliers. Mon principal regret formel tient à l’exclusivité du point de vue de François. Il est certes touchant, mais Houellebecq a mis la barre haute en termes de héros dépressifs dans la littérature contemporaine. Développer le personnage de Constance aurait été intéressant : comment vit-elle ce dérèglement du monde ? On ne sait rien d’elle ou presque, elle sert uniquement d’allégorie de la jeunesse perdue et de la pulsion de vie de François, c’est dommage. Tout de même, une scène m’a serré le cœur : Constance s’indigne que ses ravisseurs lui aient volé son violoncelle pour financer leur milice.

Même les pires raclures que j’ai rencontrées n’ont jamais osé me le piquer, mon violoncelle ! Jamais ! (p. 129)

Extension du domaine de la guerre et de l’individualisme contre l’art et la culture, ce qu’il reste de civilisation. Tout cela est intéressant et agréable, mais quand on compare L’Échappée à ses modèles (conscients ou pas, d’ailleurs), on les regrette. La description de cette France en guerre civile m’a instantanément fait penser à l’excellent Vivonne de Jérôme Leroy, le personnage principal de vieil universitaire dépassé par son temps au Voyant d’Étampes d’Abel Quentin (lui-même inspiré de La tâche de Philip Roth), et l’intrigue de road-trip vers la mort à Sérotonine de Michel Houellebecq. C’est un effet de voisinage mental comme seule la littérature en a le secret, mais qui joue malheureusement en défaveur de ce roman.

antoinegrivel
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le 12 févr. 2024

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Antoine Grivel

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