Un mariage ne repose pas sur des timbres-poste.

En s’inspirant de la correspondance de ses propres grand-parents, Ludmila Oulitskaïa - grande autrice russe - nous livre ici un roman poétique et bouleversant. Plusieurs histoires, plusieurs temporalités se recoupent. Tout débute avec Nora : la naissance de son fils et en parallèle, la mort de sa grand-mère. De cette dernière, elle hérite une malle, contenant un carnet, et des lettres.


Alternent alors les multiples histoires de ce roman : celle de Jacob et de Maria, dont la relation amoureuse est dévoilée à travers une correspondance soutenue au fil des années. Deux vies, deux âmes qui n’aspiraient qu’à être unies, et que les événements politiques des années 30 auront séparés à jamais. Celle de Nora, leur petite fille, une jeune mère dont le mari est en fait un ami, et l’amant marié à une autre. Celle de Yourik, le fils de Nora, qui hérite du génie de son père mais qui, tout comme Jacob, n’a qu’une grande passion : la musique. Et puis finalement, la naissance d’un nouveau Jacob, le fils de Yourik. Les personnages sont très soignés, et occupent une grande place dans le roman. Ludmila nous dévoile leur personnalité de manière subtile, rien d’artificiel, tout en finesse.


Mais si les personnages occupent une place centrale, si leur personnalité est valorisée, le point fondamental du roman, c’est l’ ”essence”. Celle qui



“erre à travers les générations, d’individu en individu, et qui donne l’illusion de l’individualité”



“Elle, Nora, la seule et unique Nora, voguait sur un fleuve avec derrière elle, se déployant en éventail, [...] une suite sans fin d’ancêtres anonymes des hommes et des femmes qui s’étaient choisis par amour [...] par calcul, sur l’injonction de leurs parents, qui avaient produit et protégé une descendance [...] afin de la produire elle, Nora, et elle, elle produisait son seul et unique Yourik, et lui produisait encore un petit Jacob, et cela donnait une histoire sans fin à laquelle il était si difficile de trouver un sens, bien qu’il palpitât clairement en un fil ténu”



Les palpitations politiques de la Russie - révolution de 1917, Grande Guerre patriotique, Grande Terreur, Guerre de Tchétchénie - sont évoquées, mais l’autrice ne s’y attarde pas plus que cela, le plus important étant l’impact de tous ces soubresauts sur les personnages.


Ce roman s’appuie sur une toile de fond culturelle fantastique. Nora étant scénographe, l’oeuvre regorge d’analyses et de références littéraires, mais également musicales, et même mathématiques ! Ce genre de mise en abîme me subjugue particulièrement, et il m’est arrivé à maintes reprises de stopper ma lecture pour écouter un passage de Rachmaninov ou Stauss (dont parle Jacob dans ses carnets).


Si je n’ai pas apprécié tout le roman de manière égale, je conserve de l’ensemble une impression extrêmement positive. Il se dégage de l’oeuvre une atmosphère de créativité et de curiosité que je ressens rarement. Le style d’écriture, du moins la traduction de Sophie Benech est parfaitement adaptée au récit : beaucoup de subtilité et de poésie, mais surtout une grande fluidité : rien de pompeux.


Pour conclure, l’échelle de Jacob a été pour moi un véritable coup de coeur. Non seulement les références culturelles m’ont transportées, mais les personnages soignés ont su me convaincre, de même que la qualité d’écriture de l’autrice, qui non seulement a un style agréable, mais mène son récit avec brio, sans jamais nous perdre entre les temporalités et les histoires.

Sashenkaa
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le 13 janv. 2019

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