C'est une lecture délectable que "L'écume des jours", un moment vivifiant d'abord puis douloureux ensuite. Quelque chose d'unique et d'emballant qui se déroule sous nos yeux. Ce n'est pas tant une histoire d'amour que porte au jour Boris Vian mais à quel point en dehors de cela, il n'y a plus grand chose, comment l'étau se resserre et l'intérêt de la vie disparaît tout autant que l'espace vital.
Colin se complaît à ne rien faire, à profiter de ses inventions, de son cuisinier, de son chez-soi et de ses amis, mais il a aussi le cœur à tomber amoureux quand il croise le chemin de Chloé, belle et douce qui n'a jamais fait le mal "ni en pensée, ni en acte". C'est une fille, une chic fille même, et quand Colin l'embrasse pour la première fois, il ne peut ensuite plus s'en détacher. Très vite, le mariage arrive, flamboyant, raconté en détail, avec beaucoup de surréalisme dans l'univers déjà bien entrainé de Vian.
Tout ensuite s'effondre, quand le rire de Chloé se transforme en toux. C'est qu'une fleur, un nénuphar encombre ses poumons. Dès lors, Colin est bousculé, il ne peut plus simplement être heureux, seul et égoïste, il doit s’ouvrir au monde, dur, froid, du travail. Rien ne lui réussit vraiment et la description que fait Vian de ce monde du travail est aussi hilarante qu'effrayante et d'une réalité bien tenace derrière la fantaisie qu'il y met.
On se retrouve alors plongé dans un monde fantasmé où toute la réalité nous apparait, de la passion dévorante (livresque), à l'humour grinçant en passant par les effets de langages. Ici, les cuisiniers en tenues parlent un langage soutenu, les jeunes femmes arrachent les coeurs des libraires malveillants et Jean-Sol Partre publie jusqu'à l'écoeurement ses traités sur tous les supports possibles et ce jusqu'au papier toilettes. Mais surtout, le jazz rythme la vie et son bonheur, celui d'être deux sur un même accord, dansants, valsants. Si la mort est comme banalisée, cachée, invisible,omniprésente jusque dans la patinoire, quand elle surgit après la guérison, elle bousille, elle torture et elle ne s'arrête plus, son couperet s'abat sur ceux qu'on avait aimé jusque là et la petite musique s'éteint alors. Subsiste la fantaisie et la beauté du langage de Vian, cette vivifiante écriture au sommet et qui transporte de bout en bout, enchante, étonne. On frissonne, on sourit, on pleure, surtout on vibre. C'est un livre magnifique, et que je me devais de lire, de par ce prénom que l'héroïne et moi avons en commun (n'est-ce pas Deleuze ? :)), fleuris jusqu'au bout des doigts.