Coup de coeur
L'éducation sentimentale retrace le parcours d'un romantique et la fin d'un romantisme. Frédéric Moreau est encore jeune, bercé de rêves et d'illusions tout comme ses semblables. Une vie de...
Par
le 24 oct. 2022
37 j'aime
4
Je viens de lire coup sur coup l'Education sentimentale et Vernon Subutex, critique croisée !
Quelle surprise de voir que ces deux oeuvres sont comparables : dans leur description de la faune parisienne d'une part, et dans leur volonté d'évasion d'autre part.
Paris
Plus qu'une description, c'est surtout une étude sociologique que nous livrent les deux auteurs avec en toile de fond les évènements contemporains (prévoyez une brève relecture du cours d'histoire des changements de régime politique en 1848 pour l'éducation sentimentale).
L'éducation sentimentale tente de faire s'immiscer la romance et les sentiments au sein de la haute société plutôt caractérisée par son rationnalisme, voir son cynisme, au sein de cette société, le héros essaie se surmonter ses tiraillements amoureux.
Virginie Despentes lui préfère des personnages plus haut en couleurs et plus bas socialement. Si on sent chez Flaubert les errances politiques de son époque (capitalisme et politique connaissant leur première collusion), ce sont plus les atermoiements existentiels d'individus marginaux ou standards qui intéressent Despentes, deux faunes distinctes donc, mais abondamment décrites, en cela, Frédéric Moreau et Vernon Subutex se rejoignent, ne voulant pas vraiment d'une vie mondaine, ils cherchent à s'en écarter, à disparaître.
Autour d'eux, on regarde ces personnages se débattre contre les adversités de leur temps, d'ordre conjoncturel déjà (révolution de 1848 ou attentats de Charlie), carriériste (Dambreuse ou Kiko), religieux, amoureux...
Autre point de différence, Flaubert accompagne ses personnages sur une longue épopée d'une dizaine d'années alors que l'histoire de Despentes a une élasticité différente.
Si Flaubert s'inscrit dans les récits traditionnels de son siècle avec un héros las et alangui par l'existence, Despentes évite le conformisme du héros contemporain (dont la description pourrait faire débat, pour moi, il serait quelque part entre Sherlock et Dr House, brillant, implacable et cynique, ce à quoi ne ressemble pas vraiment Vernon).
L'objet de l'évasion Romance/Musique
C'est là l'un des points-clefs de divergence entre les deux textes. Frédéric comme Vernon veulent s'arracher à leur condition, pour le premier, ça passe par une certaine richesse et surtout par l'amour, pour le second, il s'agit surtout de s'effacer de la société et de se rattacher à ce compagnon qui jamais ne trahit : la musique.
Pour Flaubert, le bonheur réside dans un couple amoureux à une époque où encore le mariage (surtout chez les nantis) reste une opération carriériste.
Un gros siècle plus tard, Despentes se détache complètement de ce cadre monogame et hétéronormé ; victoire de l'individualisme ou émergence d'une conscience commune qui explore toutes les tonalités des relations humains? Il est encore trop tôt pour le dire, mais c'est surtout la musique qui constitue ce biais libératoire. Tout au long du roman de Flaubert, on sent le carcan qui étouffe le héros, chez Despentes, les héros laissent s'exprimer ces tonalités au rythme d'une musique qui peut si bien les retranscrire.
Cette tendance à l'évasion est naturellement plus marquée chez V Despentes, ses personnages subissant plus l'aspect carcéral de la société ; leur précarité suffit-elle à expliquer ce désir ou peut-on sentir une réelle évolution des époques? Difficile de répondre aujourd'hui.
Toujours est-il que si l'Education sentimentale est devenue un classique en faisant s'adjoindre politique et émois sentimentaux, on peut naturellement souhaiter la même consécration à Vernon Subutex pour des raisons similaires.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lus en 2017
Créée
le 12 oct. 2017
Critique lue 257 fois
D'autres avis sur L'Éducation sentimentale
L'éducation sentimentale retrace le parcours d'un romantique et la fin d'un romantisme. Frédéric Moreau est encore jeune, bercé de rêves et d'illusions tout comme ses semblables. Une vie de...
Par
le 24 oct. 2022
37 j'aime
4
Paris violent, société indicible, révolution, crises sociales, personnages essoufflés, vies dramatiques, accidentées qui se fracassent contre la réalité, le hasard, le sort, toutes sortes de choses :...
Par
le 20 déc. 2017
23 j'aime
1
Le roman absolu d'un ratage. Tout s'enlise dans la poussière des siècles alors même que l'agitation révolutionnaire révèle le gout du bourgeois pour le sang, dès lors qu'on lui retire l'ordre. Les...
Par
le 15 oct. 2010
23 j'aime
1
Du même critique
A toute fin utile, précisons que je suis végétarien depuis 3 ans. Bon déjà sautez le premier chapitre qui ne sert à rien, vous serez bien d'accord pour dire que les atermoiements des auteurs sont...
Par
le 6 juil. 2016
15 j'aime
Beaucoup de critiques s'attachent à faire une comparaison avec l'oeuvre antérieure ce qui ne sera pas le cas ici. Dans un monde qui s'avèrera finalement moderne, un campagnard un peu plouc décide de...
Par
le 20 févr. 2017
13 j'aime
14
Une critique plus complète avec considération est présente ici : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dette-5000-ans-d-histoire-de-david-153390 Appuyé sur un important et dense travail de...
Par
le 30 mai 2014
12 j'aime