« L’Empereur-dieu de Dune » est l'un des meilleurs romans de la saga. On peut se demander si Frank Herbert n'aurait pas par hasard pris conscience des défauts qui alourdissaient le précédent roman, « Les Enfants de Dune » - voir ma critique de celui-ci : https://www.senscritique.com/livre/les_enfants_de_dune/critique/286909309.


Le rythme du roman est très efficace : les passages de discussion / affrontements verbaux, classiques dans un Dune, ne s'éternisent pas. Et, chose surprenante dans un roman de la saga, ce Dune commence par une scène d'action : un groupe de personnes aux capacités physiques au-dessus de la moyenne est pourchassé par une meute de loups monstrueux. Voila qui d'emblée accroche le lecteur.

Si les scènes d'action ne sont pas plus nombreuses que dans le roman précédent, elles sont bien plus spectaculaires. Pas de combats en un contre un (mis à part une démonstration éclair et humiliante de ce que l'on pourrait appeler un art martial) mais deux scènes violentes et spectaculaires impliquant un grand nombre de personnes (des attentats). Et deux longs passages faits de ce que l’on pourrait appeler de l’action lente sont très marquants car ils allient tension et réflexion tout en ayant une puissante charge symbolique - la scène de l’escalade à mains nues d’un gigantesque mur quasiment dépourvu d’aspérités, et celle de la traversée du désert.


Ce qui plombait quelque peu le roman précédent, à savoir le nombre de personnages et de factions, est devenu raisonnable. Cela aussi rend ce roman plus agréable à lire que le précédent.

Il faut dire que le personnage principal, l’Empereur-Dieu Leto II, de par sa nature, ne laisse que peu de place aux personnages alliés ou ennemis. Leto II, fils de Paul (personnage central du premier Dune) n'est pas seulement devenu un despote régnant sur l'univers connu, il est aussi et surtout devenu un demi-dieu. En 3500 ans il a progressivement muté en un ver des sables à visage humain, ce qui le rend quasiment invulnérable physiquement. Et il ne possède pas que la prescience absolue, mais également la faculté de plonger mentalement dans le passé de toute l'humanité.


Parmi les factions, seules restent à peu près actives, celles des Tleilaxu (biotechnologie), des Ixiens (high tech), et ce qui reste de l'ordre des Révérendes-Mères. Tous collaborent avec l'Empereur-Dieu dans une sorte de soumission craintive, mais qui n’exclue pas le désir de détruire Leto II. Les relations de ce dernier avec ces groupes sont en apparence ambigües mais sont en réalité cohérentes avec son despotisme absolu. Les créations des Tleilaxu et des Ixiens sont présentées par l’Empereur-Dieu comme impies mais, en bon despote, celui-ci s’octroie le privilège de les utiliser à son profit : les Tleilaxu lui fournissent des clones du héros Duncan Idaho, et les Ixiens la technologie nécessaire à ses déplacements et à l’enregistrement de ses Mémoires.

Ce qui est plus surprenant est que les Révérendes-Mères sont assez effacées, elles qui étaient si puissantes dans les romans précédents. Elles forment toujours des novices, qui peuvent être utiles à Leto II en se mettant à son service, mais elles ne peuvent même pas envisager d’influencer ce dernier, qui contrôle donc le pouvoir politico-religieux.


Les intrigues sont plus faciles à lire que dans le roman précédent car non seulement le nombre de personnages est moindre, mais de plus les personnages importants peuvent se compter sur les doigts d'une main.


Si dans les romans Dune les personnages féminins ont toujours été des personnages forts, ici Herbert montre qu'il est en quelque sorte féministe. Au sens premier du terme, comme on dirait « humaniste » (pas question ici d'idéologie exclusive). L'armée de Leto II est une armée composée exclusivement de femmes, ses redoutables Truitesses (rapport aux truites des sables, qui sont à l'origine des vers des sables). Car il considère qu'une armée d'hommes n'est pas assez fiable militairement (elle aurait inconsciemment un fond de puérilité), pas assez protectrice, et pas assez dévouée.

Il est à noter que parmi les personnages importants on trouve bien une Révérende-Mère, mais son rôle est en quelque sorte limité à celui d'une espionne / enquêtrice.

Par contre, deux personnages féminins vont avoir une grande importance dans le déroulement de l’histoire : Siona Atréides qui est la fille du fidèle majordome de Leto II (Monéo Atréides), et surtout Hwi Noree, la fille de l’ambassadeur Ixien.


Du côté des personnages masculins on trouve le majordome de Leto II, Monéo Atréides, et Duncan Idaho.

Monéo Atréides a un rôle de conseiller indispensable à l’Empereur-Dieu. En tant que fin connaisseur de la vie socio-politique, il permet à Leto II d’organiser la multitude de pensées qui l’assaille, et qui est le revers de son omniscience. Il lui permet aussi d’alléger son calvaire quotidien : l’ennui.

Le personnage quasi-mythique de Duncan Idaho, héros de guerre mort en sauvant la vie de Paul dans le premier Dune, revient cette fois-ci réellement en tant que… Duncan. En effet, comme dans les romans précédents, la technologie des Tleilaxu l’a cloné, mais cette fois-ci son clone n'est pas un simple pion qui pourrait presque être remplacé par un androïde. Ses traits de caractère, qui apparaissaient bien dans le premier Dune (et dans une moindre mesure dans « Le Messie de Dune ») reviennent avec une force décuplée : courage, fidélité, sens moral, franc-parler. Duncan se souvient du passé (celui du premier roman Dune) et n’accepte pas ce que Leto II a fait de l’univers, tout en lui jurant fidélité car Leto II est un Atréide.


Avec le personnage central de Leto II, contre lequel on ne peut a priori rien faire, que ce soit physiquement, psychologiquement ou politiquement, le récit pourrait peiner à avancer. Mais Herbert utilise une idée simple et belle, qui alimentera l’intrigue principale. Puisque toute attaque physique ou politique contre Leto II est théoriquement vouée à l'échec, il sera attaqué sentimentalement, au moyen de… l'amour.

En réalité Leto II a un point faible physique, qu'il partage avec les vers géants (vulnérabilité à l’eau), et qui sera utilisé pour le tuer. L’utilisation de cette unique vulnérabilité physique sera rendue possible par celle de sa vulnérabilité sentimentale (son aveuglement amoureux).

Ainsi, les Ixiens envoient la fille de leur ambassadeur, la douce Hwi Noree. Car il reste en Leto II quelques traces d'humanité. Il en a d'ailleurs pleinement conscience, et il en souffre. De manière presque paradoxale, Leto II, devenu un despote monstrueux à tous les sens du terme, apparaît ainsi bien moins antipathique que dans le roman précédent (dans lequel il était un adolescent humain devenant surhomme). Il est devenu un personnage au moins aussi impressionnant que son père Paul Atréides.


Je n’ai pas encore relu les Dune suivants, mais, de mémoire, aucun n’atteint la force de « L’Empereur-dieu de Dune », qui est très certainement le meilleur après le premier Dune.

PaulDenton
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le 9 déc. 2024

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