Les diverses guerres idéologiques (guerre de religion) du XVIe et XVIIe siècles ont laissé une Europe profondément désorganisée. Durant ces périodes de "guerres de tous contre de tous", l'individu cherchait uniquement à défendre sa propre vie. C'est pour contrer cette atmosphère de méfiance, de crainte et de peur que les Modernes tâchèrent d'instituer une nouvelle façon de vivre qui puisera ses principes fondamentaux dans la Raison et le Progrès : le Libéralisme. Mais comme l'explique Michéa, les guerres n'ont pas disparu, elles ont simplement été substituées, dans un premier temps, par la guerre de l'homme contre la nature (munie des armes de la science et de la technique) puis enfin la guerre de l'homme contre l'homme. Ainsi le semblant d'humanisme des Modernes couvre en fait la volonté première d'échapper aux guerres idéologiques et à leurs dramatiques conséquences. C'est ainsi qu'à cause du caractère destructeur des passions humaines ("L'homme est un loup pour l'homme" (Hobbes)), le Libéralisme, ou la "stratégie du moindre mal", s'est vu être institué, sous couvert de nécessité, qui est devenu lui le justificatif de toute l'idéologie dominante des sociétés modernes (la Croissance, le Progrès, etc...).


C'est à partir de là qu'il démontre les deux aspects théoriquement séparés mais en fait intimement liés : le Droit et le Marché.
Le premier part d'une volonté de fonder le Droit comme étant axiologiquement neutre (pas de définition a priori de la vie bonne pour l'individu) et rationnel (idéal scientifique, décision "objective" et non dogmatique) afin d'harmoniser les prétendues violences qui agissent entre les hommes dans une société purement libérale. Quant au Marché, et plus largement à l'économie, dont la critique directe est moins présente, Michéa se contente principalement de ressortir les critiques socialistes du libéralisme : l'illusion que les actions muent par les intérêts individuels ont une finalité commune ou démocratique ou encore qu'une société qui fonctionne sur un principe immoral ne peut pas être acceptable et va à l'encontre de la notion même de société.


Une fois ces deux principes fondamentaux du Libéralisme exposés, l'"utopie libérale" passe par deux étapes pour s'instituer totalement :


1) La destitution progressive des traditions (perte des valeurs morales) et de l'autorité politique (affaiblissement du pouvoir étatique, donc indirectement de la politique).
2) Le placement des actions collectives sous le contrôle des mécanismes du libre-jeu (le Marché).


Ainsi ces deux éléments mis en commun permettent de démonter l'unicité du Libéralisme et d'en donner une définition générale :
"(...) une société libérale cohérente se définit comme une agrégation pacifique d'individus abstraits qui, dès lors qu'ils en respectent les lois, sont supposés n'avoir rien d'autre en commun (ni langue, ni culture, ni histoire) que leur désir de participer à la Croissance, en tant que producteur et/ou consommateurs" (p.109)


Un autre point, tout aussi fondamental dans la pensée libérale que Michéa dénonce est l'anthropologie libérale. Il s'agit de l'axiome fondamental sur lequel toutes les pensées et théories libérales sont pensées et dont le principe est de définir l'homme comme "égoïste" par nature. Néanmoins, plutôt que d'attaquer cet a priori à l'aide de bases justement anthropologique, Michéa fait un détour par Lasch pour finir par s'appuyer sur des thèmes de psychanalyse, qui ne m'ont pas convaincu (Lacan, Freud, ...). D'ailleurs on peut retrouver cet ancrage dans la psychanalyse au chapitre "L'inconscient des sociétés modernes". Dans celui-ci il tente, entre autres, de montrer que la déconstruction des traditions du patriarcat ne conduit pas à une extension des libertés comme on pourrait le croire mais à une illusion de liberté, où chaque choix implique en fait un ordre supérieur plus "puissant". Ici c'est pareil, pour argument ces propos il se repose sur l'idée du Surmoi de Lacan ou reprend des citations de Zizek.


Face à cette emprise du libéralisme, Michéa oppose et propose le concept de "Common decency" de George Orwell. Celui-ci consiste basiquement en l'enracinement et l'intériorisation profonde des valeurs fondamentales humaines (générosités, loyauté, réappropriation du don, etc...). Propos extrêmement intéressants mais ceux-ci m'ont tout de même semblé un peu trop vagues et parfois pas assez explicites.


Plus globalement, un autre point qui m'a déçu à plusieurs endroits du livre est que plusieurs arguments sont exploités avec légèreté. Autant j'ai trouvé que des chapitres, comme par exemple le "tractacus juridico-economicus", sont ingénieusement argumentés et ou l'ensemble est cohérent et plutôt bien construit, autant d'autres thèmes sont balayés à coup de généralités ou par l'absence d'argumentations dans ses propos (par exemple sa critique des postmodernes ou des sociologues (qu'il met tous dans le même panier ?)).


Dernier point noir qui concerne uniquement la forme : la lecture des chapitres est entrecoupés des notes du chapitre précédent. Notes qui contiennent elles-même leurs propres notes de bas de pages. Tout ça rend la lecture un peu chaotique et difficile parfois de retrouver le fil rouge.


Voilà, donc malgré ces quelques points qui font défauts (auquel je pourrais presque rajouter la tendance un peu polémiste de l'auteur : "c'est la guerre de Michéa contre tous !"), je ne peux que vous conseiller à lire ce livre car il contient plusieurs parties extrêmement intéressantes et pertinentes qui permettent de mieux comprendre ce qu'on nomme le "Libéralisme".

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le 16 déc. 2014

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