Qui se souvient de « Le lundi matin le canard était toujours vivant » ? Dans les années 50 (du siècle dernier, pas avant J.-C., quand-même), l’ado que j’étais en avait fait son leitmotiv, parodiant Robert Lamoureux. Et bien ce livre commence de la sorte, après quarante pages, on cherche toujours les testicules de l’anguille ! Ni testicules, ni ovaires, pas plus que lieu de reproduction… elle cache bien son jeu la petite, on pense à la Mer des Sargasses, mais on n’en est pas absolument certain… Heureusement qu’il y a encore des mystères à élucider. Ce livre-ci en dévoile quelques-uns et Lucy Cooke prend un malin plaisir attiser notre curiosité.
Lucy Cooke est une zoologiste britannique, née le 22 mars 1970 (le jour de mon anniversaire !), elle est auteure, productrice de télévision, réalisatrice et présentatrice. Elle possède une maîtrise en zoologie du New College d'Oxford, où elle a été dirigée par Richard Dawkins*.
Laissons les anguilles et ses mystères dans les abysses de la Mer des Sargasses et tournons-nous vers le castor ce drôle de rongeur qui remporte le pompon du mythe animalier le plus absurde : tout le monde connait ses talents de bûcheron et de constructeur de barrages mais la palme revient à ses capacités et ruses d’autodéfense : « On racontait que, poursuivi par des chasseurs, il découvrait ses énormes dent jaunes et entreprenait de se châtrer lui-même, avant de céder à son agresseur ses bijoux de familles. » Ce qui a fait dire à l’évêque de Séville, au VIII° siècle « Le castor est ainsi nommé parce qu’il est châtré [castré]. » Et c’est d’autant plus stupide que c’est impossible : contrairement à la plupart des mammifères, le castor a les testicules cachés à l’intérieur. En fait une confusion s’est créée entre testicules et glandes anales odorantes servant à attirer des partenaires et marquer le territoire, mais je vous laisse découvrir les multiples et invraisemblables utilisations du précieux castoréum recueilli devenu remède vénéré !
À part ça, revenons sur terre, ou plutôt dans l’eau et examinons les attributs physiques hors du commun de cet architecte aquatique parfaitement adaptés à son activité, fruits de millions d’années d’évolution : « des dents à croissances continue qui s’aiguisent elles-mêmes, des paupières transparentes qui lui servent de lunettes de natation, des oreilles et des narines qui se ferment automatiquement sous l’eau, et des lèvres qui peuvent se fermer derrière les incisives (ce qui permet de ronger du bois sous l’eau sans se noyer et de protéger sa bouche d’échardes irritantes quand il abat des arbres). »
Connaissez-vous le chevalier Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés ? Non, ce n’est pas lui l’animal suivant, bien qu’il mérite, sans doute, le détour, ce chevalier, d’une grande sagacité, a publié en 1526, après avoir exploré le Nouveau Monde, une encyclopédie en 50 volumes sur ses découvertes ! Il y décrivit « l’animal le plus stupide qui se puisse trouver sur Terre » étiquette assez infâme infligée à un animal qui ne dérange pas franchement l’humanité puisqu’il s’agit d’un tranquille mammifère pacifiste végétarien s’efforçant simplement de mener sa vie paisible dans les forêts d’Amérique centrale et du Sud et abusivement affublé du nom de paresseux. « Les voir évoluer dans les arbres, c’est comme regarder Le Lac des cygnes au ralenti : ils pirouettent et se balancent avec la maîtrise et la grâce d’un maître de taï chi. »
Mais comment a-t-il survécu si longtemps en échappant à ses prédateurs ? et principalement à la harpie féroce, une espèce d’aigle terrifiante de plus de deux mètres d’envergure. Surement pas par la fuite, avec un record de vitesse inférieur à 1,5 kilomètre/heure ! Non, par le camouflage et… l’immobilité ! Sa fourrure est un véritable écosystème abritant algues, champignons, acariens et insectes de toutes sortes, le tout conférant à cet aimable arboricole ce qu’il a l’air d’avoir l’air et… l’odeur : un arbre parmi les arbres.
Alors, vraiment, une ébauche imparfaite de la nature qui, ayant à peine la faculté d’exister, est appelée à être effacée de la liste des êtres, comme l’a défini le Grand naturaliste Buffon ? (Que l’on retrouvera, dans ses égarements, pratiquement à chaque chapitre)
Non, le paresseux n’est pas une aberration de l’évolution !
Nous allons rapidement survoler un autre mammifère mal aimé, carnivore celui-là, du sous-groupe des féliformes, et non des caniformes comme son aspect pourrait le laisser croire, il s’agit de la hyène. Ce qui distingue les hyènes tachetées de tous les autres mammifères c’est que les femelles sont nettement plus imposantes que les mâles et plus agressives, chaque clan de hyènes (de trente jusqu’à cent individus) est un matriarcat dirigé par une femelle alpha et où, tout en bas de l’échelle, se trouvent les mâles adultes qui mendient leur acceptation au clan. Je vous laisse découvrir les particularités de ces femelles gonflées de testostérone : agressivité spectaculaire entrainant une compétition frénétique autour d’une carcasse (en moins de 30 minutes une hyène peut ingurgiter 15 à 20 kilos de viande), fœtus baignant dans un excès de testostérone prénatal programmés pour se battre dès la naissance, les cas de caïnisme sont fréquents. Mais surtout, pour couronner le tout, c’est l’appareil génital de la femelle qui est assez extraordinaire, composé en particulier d’un clitoris démesuré externe sorte de grand pénis pendant accompagné d’un pseudo-scrotum… je ne vous raconte pas les prouesses que doivent réaliser les pauvres mâles pour accomplir leur devoir conjugal…
Enfin pour corriger une idée reçue, et mal reçue, si les hyènes brunes et les hyènes rayées sont avant tout des charognards, les hyènes tachetées tuent 95 % de la viande qu’elles consomment. Elles sont de redoutables chasseuses. En groupe, elles sont capables de venir à bout de dangereux animaux nettement plus gros qu’elles. Et cerise sur le gâteau, des tests d’intelligence pour carnivores ont montré qu’elles se hissaient aux plus hauts niveaux, probablement grâce au fait de vivre dans une société complexe de type fission-fusion comme les chimpanzés, les dauphins, d’autres grands singes et… les humains.
Ne quittons pas les charognards sans évoquer cet autre grand fossoyeur-nettoyeur, j’ai nommé, le mal aimé vautour. Laissons de côté les polémiques et débats, certainement des plus passionnants, consistant à décider s’ils ont un puissant odorat, ou non, un œil exceptionnel, ou non. Nous retiendrons que pour pouvoir se repaître de chair pourrie sans dommage « ils survivent en détruisant les bactéries porteuses de maladies grâce aux acides présents dans leur estomac, qui comptent parmi les plus puissants du règne animal […] ils n’ont qu’à déféquer sur leurs pattes après avoir mangé pour les désinfecter. » Et que là où les vautours ont été décimés il a fallu engager des dépenses phénoménales pour pallier leur disparition, comme en Inde et au Pakistan « moins de vautours, ça veut dire une surabondance de charognes, ce qui entraine une augmentation massive du nombre de chiens sauvages et une énorme recrudescence de la rage. »
Curieuse transition entre ces oiseaux bien réels, véritables carnassiers voraces au vol majestueux et cette vieille fausse légende, réel succès du Comte Dracula de Bram Stoker, vampire immortel qui se repaît du sang des vivants et dont tous les fantasmes vont l’incarner de telle sorte que seront à jamais liés la chauve-souris bien réelle et le vampire imaginaire, ou comment « une innocente chauve-souris frugivore devint l’incarnation du méchant maléfique. »
Le chapitre sur les anoures, plus communément grenouilles et crapauds, ouvre sur bien autre chose… comment apparaît la pensée, le raisonnement, la méthode, l’expérimentation scientifique.
On oppose souvent croyances et savoir. On croit aveuglément ce que d’autres ont dit, il y a longtemps, généralement, dit et repris et déformé… vérités sous les lumières d’un passé révolu mais qu’il n’est pas concevable de remettre en question. On sait parce qu’on a prouvé l’exactitude des faits… ou cru l’avoir prouvé mais on est prêt à remettre en cause à la lumière de nouveaux faits ou de nouvelles connaissances. Le savoir n’est qu’une succession de marches.
Ainsi, dans l’Égypte antique, quand le Nil se retirait après sa crue, des milliers de grenouilles jaillissaient de la boue : donc les grenouilles sont générées par la boue ! Au IV° siècle avant J.-C., Aristote développa la théorie de la génération spontanée, affirmant que certains animaux inférieurs « viennent non pas d’animaux, mais par génération spontanée, les uns de la rosée tombant sur les feuilles […], d’autres de la boue et d’excréments putréfiés, d’autres dans du bois … » etc., etc.
Ne rions pas. Cette théorie avait l’avantage de répondre à un certain nombre de questions et fut reçue avec vénération. De nombreux naturalistes s’engouffrèrent dans son sillage qui devint une vérité première dont on ne pouvait douter. Ainsi pour Pline l’ancien (23-79 apr. J.-C.), qui décrit la génération spontanée des insectes à partir de la « vieille cire », de « poussière humide » ou de « livres » ou encore de « lie de vinaigre ». On a cru que les cadavres de chevaux donnaient naissance à des frelons, ceux des crocodiles à des scorpions et ceux des taureaux à des abeilles… Pendant deux mille ans la théorie ne cessa de faire des adeptes, au XVII° siècle, le chimiste flamand Jan Baptist van Helmont Indique faire naître un scorpion d’un bouquet de basilic qui fermente au soleil dans le trou d’une brique, et pour une souris « il faut du blé et de l’eau dans un récipient, [et] le recouvrir de la robe d’une femme sale… » Vu du XXI° siècle, à première vue, on nage dans le délire le plus complet ! Mais en y regardant à deux fois… Où était placée la brique au soleil ? Dans une région infestée de scorpions ? On sait que ces animaux ont pour habitude de se loger dans des endroits où on ne les attend pas. Un tissu sale, du blé, de l’eau, rien de tel pour attirer les souris, non ?
Au milieu du XVII° siècle, avec l’arrivée du microscope, débutent les vraies investigations scientifiques. Un courageux naturaliste italien du nom de Francesco Redi (1626-1697 - un nom à retenir) lance les hostilités et ose contester la théorie d’Aristote ! Par un été torride en Italie, Redi se procura tous les cadavres d’animaux qu’il put trouver « Après quoi il suivit consciencieusement les recettes de génération spontanée des différents philosophes naturels transformant par la même occasion son domicile en cuisine malodorante dédiée à la création de la vie… » et, bien sûr, il n’obtint que des asticots et des mouches.
Première démarche scientifique, nous devons, être prêts, en permanence à renoncer aux idées reçues et aux croyances populaires. Pour faire preuve d’esprit critique nous devons reconnaître les sources d’informations qui s’appuient sur les faits vérifiés, comme précisé dans le livre "L’Art de faire confiance" : https://www.senscritique.com/livre/L_Art_de_faire_confiance/critique/232031664
Mais Redi ne s’arrêta pas là, d’où viennent ces asticots ?
Nouvelle expérimentation scientifiquement conçue qui marqua le début de la fin de la théorie de la génération spontanée : « Je mis un serpent, des poissons, des anguilles et une tranche de veau dans quatre grands flacons à large embouchure ; après les avoir hermétiquement fermés, je remplis le même nombre de flacons des mêmes ingrédients, à la seule différence que je les laissai ouverts. » Alors, sans surprise (pour nous) il observa que des mouches entraient et sortaient des récipients ouverts et que rapidement ils se couvrirent de vers alors qu’aucun ver n’apparut dans les récipients fermés. Il était donc prouvé que les cadavres protégés des mouches ne produisaient pas d’asticots et que ceux-ci étaient dus aux mouches.
Enfin pour revenir aux anoures, le mystère qui a plongé le monde scientifique dans la plus grande perplexité est celui de leur mode de reproduction compte tenu de l’absence d’organe sexuel visible et, encore une fois, d’idées reçues erronées.
Le célèbre taxonomiste suédois Carl von Linné (1707-1778) avait déclaré : « Dans la nature, en aucun cas, chez aucun être vivant, la fécondation ou imprégnation de l’œuf ne se produit en dehors du corps de la mère. » Mais, persuadé que l’étude des ébats des grenouilles révèlerait les secrets de toute conception et, convaincu que, chez les grenouilles, la fécondation est externe, le prêtre-biologiste italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799) entreprit de vérifier les affirmations de Linné. Il préleva, sur des grenouilles femelles, des ovules non pondus, confectionna une sorte de caleçon en taffetas ciré, taillé sur mesures et muni de bretelles (ça devait valoir son pesant d’or !) qu’il ajusta sur monsieur, lequel s’empressa d’enlacer madame… après quoi Lazzaro retira le(les) caleçon(s) avec précaution et récupéra quelques goutes de sperme qu’il s’empressa d’appliquer sur un amas d’ovules non fécondés lesquels se transformèrent en têtards. Il appliqua toutes sortes d’autres produits sur d’autres amas d’ovules qui restèrent stériles. C.Q.F.D. : c’est bien le mâle qui féconde les ovules de la femelle, par une intervention externe.
Avec ce dernier chapitre et le début des expérimentations scientifiquement conçues, ce qui m’a semblé essentiel, j’ai largement atteint, et dépassé mon quota de mots pour que mon commentaire ne soit pas trop illisible. Je vous laisse donc terminer le chapitre des anoures et assister les crapauds-testes-de-grossesse, ou la Grenouille de Darwin dont le mâle accouche de bébés grenouilles… par la bouche. Et, peut-être, ajouterai-je juste un mot pour l’hippopotame (apparenté à la baleine) le seul mammifère connu, aujourd’hui, pour sécréter son propre écran total anti-UV… Bon, je m’arrête, si vous en voulez d’avantage, lisez ce livre !
À suivre, la cigogne, l’orignal, le panda, le manchot et le chimpanzé, de quoi découvrir pas mal de curiosités et d’originalités mais surtout, avec beaucoup de modestie, de quoi se sentir toujours plus concernés et partie prenante du monde vivant et quelque part responsables de l’avenir de cette biosphère à laquelle nous appartenons tous et qui appartient à tous.
(*) Richard Dawkins, biologiste, professeur à Oxford, auteur du livre "Pour en finir avec Dieu" https://www.senscritique.com/livre/Pour_en_finir_avec_Dieu/34019
Son influence, athée, évolutionniste, se fait sentir tout au long de ce livre.