Toutes les dystopies ne se valent pas. La question de la vraisemblance, en particulier, est primordiale, pour adhérer ou non à ce type de récit. Celle d'Asa Ericsdotter (dont c'est le premier roman traduit en français, elle qui est publiée depuis l'âge de 17 ans), dans L'épidémie, frappe par son côté très crédible et dont les développements, pour radicaux qu'ils soient, ne semblent pas non plus impossibles, dès aujourd'hui, dans tel ou tel pays du monde. En l'occurrence, il s'agit de la Suède qui, dans le roman, a porté au pouvoir un Premier Ministre dont le programme est essentiellement sanitaire. L'objectif : faire de la Suède un pays à zéro pour cent de matière grasse. En d'autres termes, combattre l'obésité par tous les moyens et fixer un seuil à partir duquel les citoyens en surpoids sont appelés à "se soigner", sous peine d'être stigmatisés et pris en charge par les autorités compétentes. Le livre focalise son attention sur plusieurs personnages emblématiques, dont ledit chef de gouvernement, un journaliste et plusieurs suédois qui ont dépassé les limites pondérales autorisées. Mais il y a quelque chose de pourri au Royaume de Suède et un engrenage fatal va se mettre en mouvement, illustré par la dérive des mesures prises par les hommes au pouvoir avec une sorte d'acquiescement et de collaboration tacites des médias et de la plus grande partie du peuple. L'épidémie est de plus en plus terrifiant au fil des pages, riche en suspense et efficace comme un bon thriller mais surtout incroyablement juste dans l'analyse du renoncement collectif d'une nation lorsqu'elle est aux prises avec une dictature qui ne dissimule pourtant presque plus son caractère fasciste. Inutile de préciser que Asa Ericsdotter a beaucoup étudié l'arrivée au pouvoir d'Hitler dans l'Allemagne de 1933 et la façon dont une grande partie d'un pays a, sinon adhéré, du moins accepté, en se cachant les yeux, quand nécessaire, ses exactions à l'encontre d'une certaine partie de la population, présumée coupable de tous les maux et à éliminer pour préserver la "pureté" de la nation. L'épidémie va loin dans l'horreur et certaines pages ne sont sans doutes pas à mettre sous tous les yeux. La mécanique du livre est aussi implacable que celle employée par les bourreaux qu'elle décrit avec une abondance de détails. Ce n'est pas une lecture de tout repos mais instructive, pour ceux douteraient encore de la "facilité" de manipuler les masses, à partir d'une notion, la santé, qui parle à tout un chacun dans sa propre vie.