Livre souvent cité, plus rarement lu (je l'ai fait aussi je confesse fût un temps), cet ouvrage de Lipovetsky dresse, sur trois cents pages l'essentiel du portrait de l'idéologie contemporaine, postmoderne tolérante à tout, ne croyant fondamentalement en rien et prête à changer sans cesse.
Sans tomber dans la dénonciation, avec un effort remarquable de se positionner de manière neutre, Gilles Lipovetsky dissèque l'individualisme contemporain, hostile aux autorités et prescriptions générales, tourné sur lui-même, et préoccupé par son propre épanouissement.
Ce qui n'est pas nécessairement à regretter, mais à constater: en se préoccupant de soi, on se sent paradoxalement plus en empathie avec les autres, on est plus rétif à la violence, et on est sans boussole idéologique ou sociale fixe.
L'ère du vide c'est d'abord cela: estimer qu'à part son propre développement- avec ce que cela implique d'inquiétude psychologique et de bien-être corporel - il n'y a en somme rien qui compte vraiment. L'individu est cool, décontracté. Il n'y a plus d'avant garde subversive, artistique ou autre.
Attention individualisme ne signifie pas forcément absence d'interactions humaines: mais refonte des liens sociaux, basés sur une interaction plus personnelle, avec des microsocietes différents selon les intérêts de chacun. L'individualisme n'est pas l'isolement mais l'hyperconnexion. Cet individualisme n'est pas non plus celui du XIXe siècle, matiné de valeur de travail, d'épargne et d'enrichissement toutes perçues comme autoritaires. Ce n'est même pas celui de mai 68, ancré sur la jouissance maximale et immédiate. C'est celui de l'indifférence aux idées et de la sensibilité aux problèmes personnels.
Ce qui n'empêche pas des résurgences d'aspirations autoritaires ou identitaires - mais elles ne sont que marginales vis à vis de cette attitude globale narcissique et rétive à l'autorité.
Peut-on souscrire à l'ensemble du propos? A bien des égards Lipovetsky a bien ciblé ses contemporains d'alors et ceux en devenir. Pour autant, le fait que l'idéologie de demain ne soit qu'un phénomène de mode successif, avec des engagements aussi intenses que brefs n'est pas acquis.
De nouvelles tendances de fond idéologiques émergent, du transhumanisme à l'antispecisme aux nouvelles formes du féminisme pour ne donner que quelques exemples. L'individu est plus décontracté pour les porter. Il ne croît pas pour autant en rien.
Ce bémol n'entache en rien la force de l'ouvrage de Lipovetsky qui 40 ans après, semble encore plus pertinent, à bien des égards que bien des analyses pour comprendre notre société.