Premier livre du tout jeune (alors) John Le Carré, qui venait de lâcher l'IS, horrifié par ce qu'il avait vu, et décidait de mettre son talent d'écrivain naissant au service d'une peinture brutale de la dégénérescence éthique et morale dont il avait été témoin (avec le plein accord de ses anciens employeurs, comme le précise une passionnante préface rajoutée récemment), "l'Espion qui venait du Froid" eut un impact immense, et plaça Le Carré sur la carte des écrivains qui comptent. Le lire ou le relire en 2015 permet de constater à la fois combien l'écrivain débutant maîtrise déjà la construction d'un suspense cérébral diaboliquement complexe, qui n'oublie pourtant jamais d'être un commentaire pertinent sur le monde : grand thriller aussi passionnant qu'éprouvant pour son lecteur, - qui frémit et se passionne jusqu'à la dernière page et ce final grandiose et d'une noirceur terrible qu'il n'est pas près d'oublier -, "l'Espion qui venait du Froid" est aussi une chronique cruelle de l'après-guerre, avec sa population encore terriblement misérable, et ses jeux politiques abscons entre les puissances victorieuses, déjà passées à une autre guerre, froide celle-là. Du coup, malgré un style qui n'avait pas encore atteint, logiquement, la magnifique efficacité dont les romans ultérieurs de Le Carré témoigneront (les diatribes politiques "lyriques" et les colères des personnages sonnent curieusement faux, soit par un défaut de traduction, soit parce que ces excès d'émotion sont par trop étrangers à la personnalité de Le Carré...), on comprend combien ce livre est important, et la force avec laquelle il balaya l'imagerie puérile du roman d'espionnage type 007 (quoi qu'on pense d'ailleurs de livres de Ian Flemming...). Et ce n'était là que le début d'une carrière incroyable d'un écrivain qui ne nous décevra jamais par la suite.