Voilà un bout de temps que je repoussais la lecture de L'étrange vie de Bod. J'avais été frustré par mes précédentes lectures de Gaiman (American Gods, Des choses fragiles), qui pour moi est un auteur cafouillant. Il cafouille dans ses univers imaginaires trop riches, il cafouille dans son style tantôt froid et aride, chirurgical à la limite de l’aseptisé, tantôt lyrique et sinueux. Comme s'il avait trop de cordes à son arc et tirait aléatoirement de l'une et de l'autre, sans jamais se décider vraiment.
J'ai retrouvé ces mêmes défauts dans l'histoire de Bod, sans que cette fois-ci cela n'entrave ma lecture. L'ambivalence de l'écriture a du bon, ici dans cet entre deux-mondes, et reflète très bien ce jeu de lumières et d'ombres entre les vivants et les morts ; le foisonnement de l'imaginaire fait de ce cimetière un espace à part, en fait un univers nouveau, radicalement opposé à la réalité, aussi ténébreux qu'attrayant. On comprend pourquoi Bod se demande à un moment s'il ne doit pas rester chez les morts plutôt que de participer à la Vie, et Gaiman - par la bouche de Silas - sait parfaitement bien répondre à cette question.
C'est un bon livre, en somme, que celui-ci. Mais un bon livre pour enfant, car un enfant saura être sensible au chatoiement du rêve cauchemardesque de l'ouvrage, sans porter l’œil sur le tissu élimé de sa trame. Au-delà du plaisir à découvrir cet univers composite de monstres et de magie, Gaiman en maître des Bêtes et des univers, nous livre un truculent bestiaire des morts que nous découvrons à travers les vadrouilles de Bod mais échoue à donner véritablement du corps à cette histoire. On a davantage le sentiment de voir se dérouler de multiples saynètes que de lire un récit, tant le fil conducteur du roman, à savoir les Jack, semble ténu. L'antagonisme est trop peu développé pour vraiment s'y attarder, et c'en est presque dommage. Comme s'il n'avait servi que de prétexte, alors que contexte complotiste avait du potentiel. Toute cette partie semble éludée, l'auteur se contentant de nous narrer une course-poursuite dans le cimetière dont on devine très facilement l'issue.
Ainsi, j'ai passé un très bon moment de lecture, L'Etrange vie de Nobody Owens offrant un espace d'évasion foisonnant et singulier, et tant pis pour l'histoire, je crois qu'ici l'essentiel était de parcourir les allées du cimetière en haut de la colline, en compagnie des goules et des spectres de tout temps.