Lire Camus, c'est un acte littéraire qui dépasse la simple lecture scolaire obligatoire. Quand les gens parlent de leur expérience autour d'un livre de Camus, ils semblent y avoir trouvé quelque chose dépassant le bon moment littéraire : une réponse à un problème existentiel ? Une extase esthète propre au style camusien ?
Toujours est-il que lire du Camus, qu'on l'ai lu dans les années 60, chez soi, sans rien demander à personne, comme le lire sur les conseils d'un ami en 2022, c'est quelque chose qui nous change tous, d'une certaine manière.
L'Étranger fait partie des plus grands récits de l'auteur, et pour cause : premier volet de la tétralogie de l'absurde, il synthétise à merveille tout le style camusien en une volée de pages avec notamment son incipit anthologique.
Pourtant, l'écriture du monsieur étonnera plus d'un néophyte: une succession de courtes phrases, un style descriptif allant au plus simple, sans fioritures, et une manie à caler sujet, verbe et complément sans trop développer...certains seront frustrés devant tant de facilité, d'autres y verront une manière de peaufiner son sens de la formule.
Car oui, Camus est de cette graine d'auteurs capable de sortir des phrases arrivant à dépasser le contexte du roman dans lequel elles s'incarnent, pour devenir les citations les plus populaires de la littérature classique.
Avec son style blanc, Camus dévoile Mersault, un personnage sans histoire et sans visage, parlant de lui à la première personne et ayant une relation particulière avec le monde qui l'entoure : il en est profondément étranger. Il le contemple avec une certaine apathie, sans une once de sentiments, qui frustrera sûrement certains lecteurs, mais qui doit être vu comme la manière idéale pour l'auteur de montrer l'absurdité de l'existence.
Puisqu'en effet, Mersault ne ressent certes rien vis à vis de ses proches, mais c'est justement cette passivité émotionnelle qui l'amènera un peu plus tard dans le roman à être condamné pour cette non-envie de s'intéresser à l'existence. Tel Socrate à son procès, Mersault ne comprend pas l'intérêt qu'on lui porte, car il ne fait que dire la vérité pure et simple, sans fioritures.
Étranger à son monde, aux siens, et même à sa propre existence, Mersault est pourtant notre propre reflet, face à nos incompréhensions des codes sociaux. Il est cet étranger que l'on voit tout les jours dans le miroir, il est nous.