Le christianisme sur la voie de la mystique
Le texte aurait été rédigé vers 90, donc certainement pas par l'Apôtre Jean si la date est bonne. Cet évangile omet 90% du matériel narratif des autres évangiles. L'Evangile de Jean met surtout l'accent sur le Christ en tant que rédempteur, et, contrairement à Luc, dédaigne quelque peu le souci de l'enquête historienne. C'est le sens intime de la mission de Jésus qui est mis en valeur, ce qui confère à l'Evangile de Jean un caractère mystique et transcendant plus marqué.
Les miracles de Jésus sont appelés ici des « signes », ce qui est cohérent avec la prégnance des notions de « langage » et de « Verbe ». Les « signes » sont des messages de Dieu destinés à susciter la Foi.
De fait, on a souligné les affinités de l'évangile de Jean avec le gnosticisme : Jésus existait avant sa naissance terrestre ; il rappelle l' « Eon » gnostique, émanation divine du Plérôme (région de la Lumière) pour communiquer aux hommes la connaissance nécessaire pour rejoindre le Plérôme. Or, l'enseignement de Jésus, dans l'évangile de Jean, est souvent limité aux Apôtres eux-mêmes ; il prend donc l'aspect d'une transmission initiatique et ésotérique. Jésus en tant que « Verbe » est le message lui-même ; émanant de la Lumière du Plérôme, il est la Lumière du Monde lui-même. On relèvera l'analogie diurne / solaire entre Dieu et la Lumière, très marquée ici, ce qui suppose, en creux, tout un monde négatif de la Nuit et de l'Ombre.
En soulignant la primauté de l'Amour du Verbe pour les hommes, Jean a puissamment contribué à placer l'Amour au cœur des valeurs chrétiennes. De même, l'annonce du Paraclet (Esprit-Saint, réconfort, soutien et défenseur des chrétiens) contraignit la théologie postérieure à élaborer une représentation des liens entre la Lumière, le Verbe, et le Paraclet. Il en est sorti le schème de la Trinité, qui répond à de fortes nécessités anthropologiques, mais qui est l'un des dogmes les moins intelligibles du christianisme.
Jean, fils d'un pêcheur sur le lac de Tibériade, est représenté comme le « disciple bien-aimé » du Christ, l'un des trois qui virent la transfiguration et l'agonie, l'un des deux qui vinrent au procès et au tombeau vide, le seul qui assista de près à la condamnation et à la crucifixion. Les autres évangiles (synoptiques) nous le montrent violent, ambitieux et jalousé : il demande à Jésus de foudroyer un village qui ne les reçoit pas ; il réclame, pour lui et son frère, les deux premières places dans la gloire. Les « Actes des Apôtres » associent Jean à Pierre comme principale autorité dans le premier groupe chrétien. L' « Epître aux Galates » fait de Jean l'une des trois colonnes de l'Eglise. Déporté pour un temps dans l'île de Patmos, il survécut aux autres Apôtres et mourut de vieillesse à Ephèse vers la fin du Ier siècle.
L'écriture de Jean est à la fois claire et ambiguë, en ce sens que chacune de ses phrases n'est écrite que pour être vraie dans tous les domaines à la fois et même en Dieu. Solennité du ton, agilité de la pensée, parallélisme en spirale, amplifications successives, alternance entre l'affirmation brutale et les lentes préparations qui aboutissent à une parole péremptoire ou à un brusque accomplissement. Cette tension, cette passion, cette hauteur autoritaire et sans réplique ont valu à Jean de se voir attribuer l'Aigle (le Scorpion en version moderne) dans le Tétramorphe.