Second contact pour moi avec Villiers, après un "Véra" assez quelconque qui m'avait plutôt refroidi... Tout autre situation pour l'Éve future, qui n'est pas considérée comme son chef-d'oeuvre pour rien.
Le grand inventeur Thomas Edison reçoit son ami, Lord Ewald, qui lui raconte pourquoi il est sur le point de se suicider : il est tombé éperdument amoureux d'une certaine Alicia Clary, vivante incarnation de la Vénus de Milo, au corps parfait et à la voix fabuleuse. Mais alors qu'il entame sa relation avec elle, il réalise à quel point l'esprit qui va avec ce corps n'a rien de splendide, Alicia étant superficielle et terre-à-terre, n'ayant que du dédain pour la vie d'artiste que sa voix lui permet de mener. Afin d'empêcher son ami de mettre fin à ses jours, Edison lui dévoile sa dernière invention: l'Andréide, du nom d'Hadaly, véritable femme artificielle que l'inventeur a doté du plus bel esprit qu'il ait pu. Edison décide d'achever son oeuvre en la dotant de l'apparence parfaite d'Alicia Clary de manière à ce que son jeune compagnon possède désormais la plus parfaite des compagnes... D'abord sceptique devant l'affirmation d'Edison selon laquelle il aurait tellement perfectionné son oeuvre qu'elle serait indiscernable d'une femme en chair et en os, Ewald se laisse convaincre par les nombreuses preuves qu'Edison lui produit...
Idée complètement folle (du génie cinglé qu'est Villiers, cela se conçoit), L'Ève future est un récit halluciné, parfois aride (ce qui lui a souvent été reproché, puisqu'il est composé essentiellement de longs monologues où Edison décrit par le détail son invention) mais bourré d'esprit et d'idéal (comme le dit si bien la dédicace "Aux railleurs, aux rêveurs"). Le projet fou de dépasser le réel par un faux idéal est soutenu par un brouillage constant des repères : Villiers parsème ainsi son récit de références en tous genres, et n'hésite pas à les inventer de toute pièce par moments. Il y a peu d'auteurs qui ont tant pris de liberté avec le réel, puisqu'il ne forge pas seulement un univers factice, mais le coud avec soin dans le tissu de notre réalité, n'hésitant pas à se moquer gentiment (ou non) de ses contemporains et de ses lecteurs. L'ironie est mordante, le projet est délirant, l'esthétique est unique.
Unique, c'est sans doute le mot qui décrit le mieux cette oeuvre. À ma connaissance, il n'existe rien qui se rapproche un tant soit peu de ce livre.