Futur proche. L’humanité s’est étendue aux planètes du système solaire, mais les étoiles lui sont encore inaccessibles. Au fil du temps, la population vivant dans la Ceinture d’astéroïde a développé sa propre culture, et même ses propres caractéristiques physiques, et un fort antagonisme s’est créé envers les habitants sous gravité faible et ceux habitants les planètes intérieurs, conservant jalousement les précieuses ressources. Les relations entre la terre-mère et la puissante Mars, à la technologie militaire plus développée, ne sont pas dénuées de conflits non plus. C’est dans ce contexte tendu que de sombres machinations s’opèrent, qui mettent le feu aux poudres. Une machination dont l’origine pourrait bien avoir de grandes conséquences pour l’humanité…
Situer l’action à cette époque charnière peu dévoilée dans les histoires de science-fiction, et pourtant une transition logique et inévitable, constitue de base une bonne idée. Cela situe en outre l’histoire dans un futur proche, plus facilement imaginable qu’un lointain empire galactique, qui renforce l’adhésion.
L’histoire se concentre sur deux intrigues et deux personnages principaux : le détective Josephus Miller et le capitaine James Holden.
Le détective Miller est un ceinturien qui s’est engagé dans une société de sécurité terrienne. C’est un policier blasé, aux méthodes violentes, qui a un peu trop tendance à trouver réconfort dans la boisson. On lui confie la mission de retrouver une fille de milliardaire en fugue. Mais ce qui n’est qu’au début qu’une banale affaire pour satisfaire un gros client devient bien plus.
En parallèle, Jim Holden est un terrien qui a rejoint un équipage de transport de glace, le Canterburry. C’est un homme profondément droit qui s’échine à faire ce qui est juste. Lorsqu’ils répondent à un signal de détresse, leur vaisseau est prix pour cible par des vaisseaux furtifs inconnus, et est détruit dans l’incompréhension la plus totale. Holden fait partie des quelques survivants qui en ont réchappés, et se retrouve catapulté malgré lui capitaine. Aux lourdes responsabilités de la survie de l’équipage s’ajoute son rôle à jouer dans une affaire qui le dépasse, pion involontaire pris dans une guerre naissante et un ennemi inconnu. En dévoilant la possible implication de la flotte martienne, Holden créé sans le vouloir le début d’une guerre ouverte, ravivant des tensions déjà fortes. Une escalade de violence qui n’est qu’une distraction pendant que d’autres activités se déroulent ailleurs.
Deux affaires isolées qui se retrouvent en fait connectées. L’inspecteur et le capitaine vont devoir s’associer pour tirer cette affaire au clair et surtout détruire ceux qui sont derrière tous ces événements.
Le livre se concentre donc sur ces deux protagonistes. Si d’autres personnages gravitent autour à plus ou moins grande distance, la structure est de fait simple à suivre.
L’auteur à un style particulier qui provoque immédiatement l’adhésion. Les scènes d’action sont viscérales, et l’esprit s’imagine peine les combats spatiaux, décrits avec ce qu’il faut de détails techniques. Esquive de missiles, tirs des Centre de Défenses Rapprochés à courte distance, vibrations silencieuses se répercutant dans les murs d’un vaisseau évacué, signe d’un combat lointain dont on ne sait rien… L’évacuation du Donnager, la fuite dans les couloirs d’Eros, l’attaque de la station Toth, constituent des moments particulièrement intenses.
Pourtant si le rythme va parfois à plusieurs g, au détriment du développement des personnages, quelques passages inspirés arrivent à créer de l’empathie.
Ainsi, Miller devient fasciné par cette femme, Julia, jeune terrienne ayant vécu dans le confort des puits de gravité, et qui pourtant a décidé de s’en extirper pour défendre la cause des ceinturiens oppressés. Ayant bravé l’autorité parentale, c’est une femme forte autant d’esprit et de corps, qui prend elle-même ses décisions et est déterminée à avoir ce qu’elle veut. Miller ressent une sorte d’admiration, d’amour même, et devient obsédé par elle, ainsi que par les circonstances de sa disparition. Il voit dans cette mission la preuve qu’il est encore un bon flic, qu’il peut encore sauver des vies. A tel point qu’il finit par la voir en hallucination, il s’imagine qu’elle lui parle, le rassure, le guide, ou au contraire lui faisant des reproches, reflet de sa propre culpabilité. Lorsqu’il devient nécessaire de faire parler la poudre, quitte à saturer les systèmes de ventilation, il n’hésite pas à tuer de sang froid, sans remords, et aligner les morts, toute compassion enfuie depuis longtemps. Lui reste-il encore une humanité ?
Bien qu’au service d’une société terrienne, il reste un centurien dans l’âme, raisonnant comme eux, d’une façon que les habitants des puits de gravité ne pourraient comprendre.
Un comportement qui horrifie Holden, le capitaine intègre qui s’efforce de faire ce qui est juste. Il s’accroche à une vision idéaliste mais faussée du monde, et qui n’est pas sans conséquences. Bien que dépassé par les événements, il garde la tête haute, il s’oppose ainsi aux autres acteurs de l’échiquier solarien, pour représenter les intérêts de son équipage.
Les autres personnages sont secondaires, mais quelques détails de leurs comportements parviennent à leur donner un minimum de subsistance. Ainsi Fred Johnson, ancien gradé de la coalition Terre-Mars ayant rejoint la cause des Ceinturiens, et qui s’efforce de les défendre sans user de violence, ou encore le mécanicien Amos, fidèle jusqu’au bout et obéissant sans broncher aux ordres, même lorsqu’ils sont immoraux.
Avouons toutefois que les personnages ne sont pas le point fort de l’histoire, sans s'effacer non plus devant l'univers dépeint comme c'est parfois le cas dans les histoires de science-fiction.
L’univers aurait mérité d’être plus étoffé toutefois. Certes sont distillés quelques éléments pour comprendre la culture ceinturienne, comment à force d’œuvre dans des combinaisons, ils ont développé un langage gestuel, ou comment ils prennent très à cœur tout ce qui peut affecter leur approvisionnement en ressources. Comment surtout, l’homme avec sa tolérance légendaire, a su créer de nouvelles haines basées sur l’apparition de nouvelles différences morphologiques ou culturelles. L’on peut trouver également quelques informations sur les premiers moteurs spatiaux et quelques mentions des autres satellites ou astéroïdes habités. J’espère que les tomes suivants développeront d’avantage car il y a du potentiel.
« L’éveil du Léviathan » se situe dans un univers profondément scientifique et réaliste. De nombreux détails scientifiques agrémentent l’histoire, renforçant le réalisme. L’espace, on le sait, est un endroit particulier, hostile. Pas d’air pour transporter le son, des distances énormes, l’obligation de porter des combinaisons incommodes… Les stations parviennent à créer une gravité artificielle en tournant sur elles-mêmes, et la gravité ne se manifeste pas de la même façon partout. Dans les étages supérieurs, la force de Coriolis est susceptible de produire des vertiges pour ceux n’ayant pas l’habitude. De même des différences de perception apparaissent quand un vaisseau effectue un virage. Réacteurs Epstein, drogues anti-G…peu de nouvelles technologies sont évoquées, mais tout ce qui est évoqué est décrit avec suffisamment de clarté pour être compréhensible, tout en paraissant crédible (je laisse les calés en physique et technologie militaire en juger).
Une crédibilité scientifique qui se ressent dans le style, et dans le choix des métaphores. La Ceinture qui réagit par la violence face aux provocations martiennes, comme une pomme tombe sur le sol par la gravité. Un homme qui se satisfait à tous les désirs d’une femme au tout début, comme s’il s’agissait d’une constante universelle…
Pour autant, « l’Eveil du Leviathan » ne reste pas dans la science-fiction réaliste pour se concentrer sur la dimension politique et humaine comme s’était positionné « Battlestar Galactica » (le mysticisme en moins). Avec l’avancée du récit, on découvre l’intégration d’éléments plus fictifs comme la possible existence d’une vie extraterrestre, à la technologie supérieure capable de prouesses dépassant de loin nos connaissances. Un choix que je regrette un peu pour ma part, j’aurais préféré que l’histoire se concentre d’avantage sur l’aspect politique, au fort potentiel étant donné l’époque choisie. A voir comment les prochains tomes sauront conjuguer les deux aspects.
Depuis 2015, les livres sont adaptés par Sy-Fy dans la série « the expanse », qui marque un renouveau attendu du space opera et s’annonce comme étant la meilleure série du genre actuellement. Bénéficiant d’un budget respectable lui conférant une vraie beauté visuelle et un design très fidèle au réalisme des livres, « the expanse » parvient à se détacher de son format original par quelques modifications plutôt pertinentes, comme l’ajout d’une troisième intrigue basée sur une diplomate terrienne. En espérant que les deux formats continuent sur leurs lancées.