J’ai été surpris en lisant ce livre : je m’attendais à un plaidoyer en bonne et due forme contre la peine de mort, avec les arguments bien connus. Mais il s’agit en réalité d’un récit haletant d’une lutte contre une machine judiciaire implacable, qui donne parfois l’impression d’avoir été écrit comme un exutoire, le procès-verbal d'un assassinat judiciaire. Même si j’en connaissais par avance une bonne partie du contenu, même si l’issue ne faisait aucun doute, je l’ai lu presque d’une traite.
Mais c’est aussi, au fur et à mesure du récit, un puissant réquisitoire contre la peine de mort et l’institution judiciaire des années 1970, par le simple rappel des faits. Le procès est ponctué d’une série de mesquineries et d’injustices qui chacune vont faire pencher davantage la balance vers ce scandale qu’est la condamnation à mort d’un homme qui n’a pourtant pas tué : une expertise innocentant Bontems, le client de Badinter, est annulée pour vice de forme et ne peut être mentionnée pour le défendre ; on interdit, absurdement, à l’accusé d’avoir ses lunettes, ce qui donnera l’impression qu’il est absent de son propre procès, etc.
J’ai également appris que les détenus étaient alors obligés de porter un costume pénitentiaire, qui semblait venu d’un autre siècle ; c’est aussi Badinter, en 1983, qui mettra fin à cette pratique.
Celui-ci montre aussi que l’exécution elle-même est totalement dénuée de la solennité qu’on attendrait d’un acte de justice. On croit plutôt assister à un assassinat : on court dans les couloirs de la prison, on surprend le condamné dans son sommeil, et on le tue avant l’aube, à la sauvette, et en catimini. La conclusion pour le lecteur, surtout pour le contemporain de la publication, alors que la peine de mort était encore appliquée, rappelle celle de Victor Hugo : si la justice d’un pays pensait que la peine capitale est légitime, elle n’exécuterait pas les condamnés presque en cachette.
Enfin, c’est une belle réflexion sur ce qu’est être avocat, et un admirable portrait par Badinter de son maître, un ancien ténor du barreau. Badinter fait en effet souvent alterner son récit de l’affaire Bontemps avec des citations et souvenirs du vieil avocat, comme autant d’exemples à suivre. Et peu à peu, ses paroles se font de moins en moins présentes, à mesure que le disciple fait siens ses enseignements, trouve sa propre voix, et forge son destin, pour devenir, sans qu’il le sache alors lui-même, le héros de l’abolition de la peine de mort que l’on sait, et le modèle de bien des avocats après lui.