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Julien, la trentaine, est artiste-vidéaste. Mais il traverse une mauvaise passe et a besoin d’un petit boulot. Pourquoi pas livreur de plats cuisinés pour une plateforme en ligne ? Après tout, quoi de mieux que de travailler à l’air libre, en faisant de l’exercice, et en choisissant ses horaires ? Sauf que Julien va vite déchanter : les livreurs à vélo que l’on croise tous les jours dans les rues de nos villes, derrière leur prétendue liberté (statut de « collaborateur indépendant » qui leur permet de dégager un « chiffre d’affaire » et de choisir leurs horaires de travail), sont en fait totalement exploités par des plateformes qui contournent allègrement le droit du travail, les fliquant sans scrupules, les soumettant entre eux à une concurrence impitoyable, les poussant à se mettre en danger pour se jeter sur des shifts qui, non seulement les rétribuent de façon minable, mais ne leur donnent aucune couverture sociale, aucun droit au chômage ou à des vacances… Julien finit par publier un article incendiaire sur Facebook, et le buzz est tel que Fritchi – la plateforme qui l’emploie – prend peur.
Il est alors invité par leur hapiness manager dans l’open space de l’appli, où il découvre une rangée de jeunes start-uper travaillant derrière leur Mac et parlant tous un incompréhensible frenglish… Le nouveau visage d’un capitalisme « à la cool », où la violence sociale se dissimule bien mal derrière une injonction à prendre plaisir au travail, à le considérer comme un jeu. Refusant leur proposition de passer de l’autre côté du miroir, Julien continue d’arpenter la rue avec son vélo et son sac à dos, rencontrant d’autres livreurs venus de tous les horizons, et prenant conscience de l’impossibilité de fédérer ce petit monde pour obtenir des conditions de travail plus dignes : beaucoup de ces livreurs sont étrangers, parlant des langues différentes les uns des autres, ne connaissent pas leur droit, et ne peuvent de toute façon pas se permettre de se mettre en grève… Un système donc, qui a de beaux jours devant lui.


Une critique juste, mais sans doute un peu convenue, de la start-up nation de Macron. Les anecdotes ne manquent pas pour se faire une idée de la réalité de l’existence des livreurs, entre gobelets de Coca qui s’ouvrent dans leur sac à dos, obligation d’acheter avec leurs propres deniers un uniforme qui les transforme en publicité ambulante, prime de pluie qui est soudain supprimée au début de l’automne… et accidents de vélo à cause du rythme infernal qui leur est imposé. Même si Julien Salé n’est ni écrivain ni journaliste, il réussit un travail d’enquête littéraire convaincant, n’hésitant pas à se mettre en scène dans son quotidien de livreur Fritchi ou Deliveroo, mais se permettant aussi de prendre de la hauteur pour livrer une analyse globale de la façon dont le travail uberisé a ouvert un boulevard à l’exploitation sociale. Le texte est aussi le prétexte à divers portraits de livreurs, souvent d’origine étrangère – malienne, indienne ou algérienne – et dans des situations de précarité inextricables.

Courfeyrac
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le 11 mai 2021

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