H.G. Wells, auteur britannique reconnu pour ses œuvres de science-fiction telles que La Machine à explorer le temps (1895) ou L'Île du docteur Moreau (1896), publia une nouvelle fois en 1897 une histoire mettant en scène l'entrée en matière d'une révolution scientifique au cœur de la société des hommes. Dans cet ouvrage, il s'agit d'un homme pouvant confondre son tissu corporel dans le paysage. Si la carrière de l'auteur est connue pour ses romans de science-fiction souvent en utopie ou en dystopie, sa plume se révèle multiple et courtise la satire sociale et les réflexions politiques et sociales. C'est cet aspect qui se retrouve dominant dans L'Homme Invisible : la convocation inattendue de plusieurs genres dans un seul ouvrage auquel est attribué le statut de roman de science-fiction. L'incursion de l'homme invisible dans l'auberge des Hall est un modèle de fascination pour le lecteur. L'écriture de Wells joue habilement sur les différents points de vue des personnages pour accrocher le lecteur directement à l'intrigue. La narration à la troisième personne du singulier aide à maintenir un suspense haletant, dû au statut inconnu de l'homme invisible. Ainsi, dans une seule et même péripétie (la découverte de l'étranger par les Hall), Wells enrichit son histoire en faisant intervenir différents registres (histoire à suspense, comique de situation burlesque, fantastique et même théâtre vaudevillesque avec les différents chamailleries discursives dans l'auberge), ce qui crée une ambiance mystérieuse et baroque susceptible à séduire le lecteur jusqu'aux dernières pages.
Le lecteur aurait pu s'attendre à une histoire horrifique, mais il ne s'agit en fait qu'une couche, attrayante cela dit, de la richesse de ce petit roman. L'approche du fantastique s'apparente plus à celle de Frankenstein de Mary Shelley (1818), celle de confronter l'élément perturbateur au monde humain dit rationnel pour ensuite dévoiler les réactions des "animaux sociaux". L'aspect le plus important, quoique subtil mais intéressant, du roman est cette dimension satirique dont la méthode est de se rapprocher des avis des citoyens, chamboulés par un événement paranormal. La multiplication des points de vue tend aussi à enrichir la vision du lecteur sur le cas de l'Homme invisible. D'abord perçu comme un étranger, puis comme un fugitif intelligent mais sociopathe aux tendances psychopathes, l'Homme invisible devient au fil de la lecture le centre d'attention du roman. Personnage aux multiples facettes, il devient fascinant par la contradiction de ses émotions qui le font devenir un être instable qui se condamne de lui-même. Il représente le message du récit : à force de merveilles et de progrès scientifiques, l'homme est puni par son arrogance et chassé par ses semblables au nom de la norme sociale et de la morale. Pourtant, la folie humaine est omniprésente dans le roman de Wells et est délivrée de manière percutante par des styles d'écriture, des focalisations psychologiques sur les caractères alarmants de certains protagonistes jusqu'à un final étonnant, où la démence arrive à un terme grandiose pour un bouquet tragique.
L'Homme Invisible est un roman de Wells surprenant et pertinent dans la mesure où la pluralité des registres littéraires et des procédés stylistiques illustrent à merveille l'impression de folie et la critique remettant en cause le comportement de l'homme en société face à un phénomène inattendu. Si le changement de point de vue et la narration, assez irrégulière dans les derniers chapitres, peuvent en déstabiliser plusieurs lecteurs, ce petit roman baroque saura tout de même vous intriguer et vous captiver par la maîtrise de son suspense et grâce à l'évolution fascinante de cet homme invisible très particulier.