C'est une mésange bleue, contemplant son reflet dans une vitre, qui ouvre L'homme peuplé. Le décor pourrait être serein, dominé par un environnement naturel indifférent au tumulte humain sauf que, on le sait, les romanciers aiment faire sourdre l'inquiétude des paysages ruraux, comme si, là plus qu'ailleurs, l'âme de nos contemporains y était plus noire qu'en ville. Au centre du livre de Franck Bouysse, se tiennent deux solitaires, voisins qui ne se connaissent pas mais ne cessent de se flairer à distance : l'un est un écrivain en panne, Harry, l'autre un fermier fruste et en deuil de la femme de sa vie, sa mère, Caleb. L'homme peuplé est un roman à combustion lente qui va consumer ses personnages comme le lecteur, happé par un drôle de suspense, en quête d'indices sur un sentier escarpé. Les chapitres alternent entre Harry et Caleb mais les temps qui concordaient entre eux subissent un glissement de terrain et le présent et le passé vont s'entremêler, comme la réalité et la fiction, comme les vivants et les fantômes. On ne peut qu'admirer la maîtrise avec laquelle l'auteur nous embarque dans un livre de plus en plus sombre, de plus en plus proche de céder au fantastique. Dissimulée derrière une double intrigue qui révèle ses secrets avec parcimonie, dans un style superbe, une mise en abyme se développe avec l'écrivain en quête d'inspiration (Harry comme double de Franck) et accompagne une réflexion profonde sur l'acte d'écrire. Toutes les couches de narration du livre ne sont pas pour rien dans le plaisir pris à le décrypter, quitte à en avoir sa propre interprétation. Un seul être vous hante et tout est (re)peuplé.