Ne pas se laisser abuser par le titre. Mais retenir le sous-titre : UNE HISTOIRE DE L’INVISIBILITÉ DES FEMMES.
À la lumière des dernières observations archéologiques il apparait que la femme préhistorique était un homme comme les autres. Alors pourquoi, dans l’imagerie populaire traine la silhouette de l’homme, à l’entrée de la caverne, altier, farouche, armé de son épieu, portant encore sur l’épaule le gibier qu’il vient de chasser, avec derrière lui, accroupie dans la poussière et dans l’ombre de la grotte, sa compagne, un enfant accroché à son sein, préparant le repas, entourée d’enfants de différents âges et de vieillards plus ou moins prostrés… Homme dominateur, femme soumise… Image d’Épinal faussée par plusieurs millénaires de culture machiste qui place la femme au dernier rang de la société.
Dans son ouvrage (délibérément féministe), L’homme préhistorique est aussi une femme, Marylène Patou-Mathis nous montre que l’histoire de l’évolution de l’humanité n’étant envisagée presque exclusivement que du point de vue des hommes, les rapports sociaux qui impliquent les femmes sont rarement pris en considération.
Ce livre n’étant pas une fiction romanesque il n’attirera, malheureusement, que peu de lecteurs malgré son immense intérêt sociologique et anthropologique. Aussi je traiterai mon commentaire à la manière d’un compte-rendu (chronologique) destiné aux personnes qui souhaiteraient avoir un aperçu, sans lire l’ouvrage… Et (surtout) pour mon petit-fils de dix-huit ans qui pense tout savoir des relations homme-femme mais qui n’aura ni le temps, ni le courage de se plonger dedans.


Si vous souhaitez lire ce livre, n’allez pas plus loin. Bien sûr je n’ai pas tout rapporté, ce livre est foisonnant, je n’ai même pas respecté le plan, mais j’ai suivi les grandes lignes et sélectionné de nombreux extraits.
Si vous décidez de poursuivre, attention… plus de 3000 mots vous attendent pour arriver au bout !


Préhistorienne française, spécialiste des comportements des Néandertaliens, Marylène Patou-Mathis est née en 1955 à Paris. Directrice de recherche au CNRS, rattachée au département Préhistoire du Muséum national d'histoire naturelle depuis janvier 2019. Elle obtient une maîtrise de géologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI), puis se spécialise en préhistoire avec un DEA de géologie du Quaternaire, paléontologie humaine et préhistoire, à l'université Paris VI en 1981. Elle soutient sa thèse de doctorat en préhistoire, dans cette même université, en 1984.


La Préhistoire est une science jeune qui débute au milieu du XIX° siècle, « Les représentations de la famille préhistorique imite le modèle idéal de la famille occidentale du XIX° siècle : nucléaire, monogame et patriarcale. » Comment s’étonner alors que l’approche des premiers anthropologues a pour modèle leur environnement, celui d’une société occidentale du XIX° siècle, héritière d’une tradition judéo-chrétienne et gréco-romaine dans laquelle les femmes sont perçues comme des êtres inférieurs, comme un mal nécessaire (Voir plus bas).


Quel est le statut social de la femme préhistorique ?
La réponse n’est certainement pas évidente ni facile à formuler. En fait elle provoque un débat houleux au sein du monde scientifique. Marylène Patou-Mathis nous propose un florilège des diverses affirmations et infirmations, toutes plus péremptoires les unes que les autres qui s’opposent, dans un brouhaha assourdissant de spécialistes, convaincus de détenir LA vérité ! Mais à la décharge de tout ce beau monde, il faut rappeler qu’à cette époque la mondialisation n’était pas vraiment à l’ordre du jour et chacun faisait sa petite salade dans son coin sans se demander si c’était tendance ou pas. Tout le monde n’avait pas la télé, au paléolithique, Facebook et Tweetter n’en était qu’au tout début… Alors, les femmes étaient obligées d’improviser, sans tenir compte de la mode du moment, même celles abonnées à "Closer" devaient faire preuve d’imagination (la distribution du courrier n’était pas fiable).
Au milieu des archives laissées sur place (art pariétal, sépultures, vestiges de toutes sortes…) nous allons devoir faire notre philosophie : mettez-vous dans la peau de l’homme préhistorique, au paléolithique (Sapiens, Néandertalien, Dénisovien ou autres), il y a 300 000 à 30 000 ans, qui voit, dans sa horde, ce drôle d’individu, appelons-le "femme" pour faire simple, dont le ventre s’arrondit, parfois, de façon tout à fait magique (le mot miraculeux n’existe pas encore), et c’est une très bonne chose car au bout d’un certain temps la "femme-magique" va donner naissance à un enfant qui, s’il survit, va grossir le groupe. Elle est vraiment magique cette femme. Elle enfante, elle élève, elle bénéficie d’une fonction primordiale dans la pérennité du clan. Suivant les régions et les périodes il se pourrait que se développe une véritable « vénération des femmes en tant que fondatrices des lignées. »
Un père ? Qu’est-ce que c’est ? Comment faire un lien entre l’accouplement et une naissance qui intervient neuf mois plus tard ? « Étant donné qu’il était impossible de connaître avec certitude le véritable père du nouveau-né, la filiation matrilinéaire apparaît plus que probable. » La femme a un rôle économique et possède un statut social probablement équivalent à celui des hommes, ou plus élevé comme semble l’attester la place centrale qu’elle occupe dans l’art paléolithique. Étant le seul lien avec la descendance on peut donc raisonnablement penser que ces sociétés étaient matrilinéaires (système de filiation dans lequel chacun relève du lignage de sa mère. Cela signifie que la transmission, par héritage, du prestige et des biens matériels, se succède suivant le lignage féminin), mais « nous n’avons actuellement aucun indice qui permette de conclure à l’existence de sociétés matriarcales, sous-entendu dominées par les femmes, ou patriarcales. »


Au néolithique, 10 000 à 2 000 ans avant J.C., suivant les régions, si sur les peintures rupestres les femmes ne semblent pratiquer que la cueillette l’observation de leur squelette prouve qu’elles pratiquaient d’autres activités : « certains individus d’Europe centrale avaient des bras plus puissants que ceux des athlètes féminines d’aujourd’hui. Cette incroyable force physique des membres supérieurs résulterait des activités liées à l’agriculture : labourage des sols, récoltes des céréales, broyage des grains à l’aide de meules de pierre… » C’est tout naturellement que, pratiquant la cueillette et rapportant des graines au campement, elles ont vu germer celles tombées au sol. Ce qui leur a donné l’idée d’en semer « Devenues agricultrices, elles seraient également à l’origine de différents outils agricoles, dont la houe et la meule à broyer les grains. Selon certains chercheurs, ces savoirs auraient été transmis de mère en fille, ce qui leur aurait conféré un statut social aussi élevé, voir supérieur, à celui des hommes. »
Mais toutes les femmes ne se sont pas cantonnées dans des rôles domestiques, par exemple, dans certaines communautés néolithiques ainsi qu’à l’âge du bronze et du fer, des femmes pratiquaient des activités supposées exclusivement masculines, comme la chasse et la guerre. Ainsi considérant certaines sépultures où le défunt est enterré avec un char de guerre, « Si l’on considère les hommes inhumés dans des tombes à char comme des "chefs", il n’y a aucun argument archéologique pour ne pas faire de même avec les femmes inhumées dans des tombes à char. »
Ou encore, ce squelette découvert dans les années 1880 sur l’île de Björkö en Suède, entouré de ses armes (une épée, deux lances et vingt-cinq flèches) et deux chevaux. Attribué pendant plus d’un siècle à un chef guerrier… impensable d’imaginer une guerrière ! En 2014, une étude anthropologique et des analyses ADN ont révélé que ce prétendu guerrier viking était une guerrière, et probablement une cheffe de guerre.
C’est également au néolithique que se développe l’élevage et que doit apparaître la notion de paternité remplaçant peu à peu la filiation maternelle par la filiation paternelle. Dès 1884, pour Friedrich Engels, Cette évolution est l’une des causes de l’assujettissement des femmes. Le renversement du droit maternel fut « la grande défaite historique du sexe féminin. »
L’exploitation des animaux (laine, lait…) aurait entrainé un cantonnement accru des femmes dans l’espace domestique. Avec l’accroissement des richesses (pâturages, bétail, réserves alimentaires) et donc de la notion de propriété, les hommes auraient pris une place de plus en plus importante au sein des communautés pour en assurer la protection et la pérennité pour la descendance. Ce qui aurait fait apparaître des élites et des castes, dont celle des guerriers et entraîné une division sexuée ainsi que la généralisation de la filiation patrilinéaire.
Ces transformations bouleversent la place des femmes dans la société pour les millénaires à venir.
Pendant 150 ans les interprétations qui ont été faites des vestiges archéologiques ont contribué à rendre les femmes invisibles, en minorant leur importance dans l’économie. Les découvertes récentes font apparaître que les femmes préhistoriques sont aussi importantes que les hommes dans le processus d’humanisation. En charge des jeunes enfants, elles ont transmis les premières formes de culture et de langage. Dans les sociétés patrilocales (quand la femme vit dans la demeure de son compagnon), en quittant leur groupe de naissance pour en rejoindre un autre, elles favorisent les échanges de savoirs et de savoir-faire. On peut envisager « que la situation des femmes ait été probablement bien meilleure qu’à certaines périodes historiques où les préceptes religieux et l’iniquité des lois ont maintenu les femmes dans un état d’infériorité et de subordination. »


Comment était perçu la femme dans l’Antiquité ?
Tous ces grands penseurs anciens que j’admirais, sans vraiment les connaître, me laissent dubitatif : pour Platon, seuls les mâles sont « des êtres humains complets ». Pour Aristote, « un mâle est mâle en vertu d’une capacité particulière, une femelle est une femelle en vertu d’une incapacité particulière » ! et comme ça ne suffit pas : « la femelle est comme un mâle mutilé, un mâle infertile » !... Ils sont bien nos Grands Penseurs ! J’étais plus léger en Candide ! Rappelez-vous, « C’est dans "L’Iliade" qu’a lieu l’invention de la virilité, cet idéal physique et moral qui dote les individus de sexe mâle d’une supériorité irrécusable, celle qui s’exprime dans la raison, inaccessible aux femmes. »
À Rome, le droit romain donne au père de famille le droit de vie et de mort sur ses esclaves, ses enfants et sa femme, souvent considérée comme une esclave ! Rendons à César… certains penseurs de l’Antiquité s’élèvent contre le préjugé de l’infériorité intellectuelle et morale des femmes. Ce qui reste sans effet.
À Sparte, les femmes sont considérées plus ou moins à l’égale des hommes (parce qu’elles engendrent des soldats !).


Et à l’origine de la chrétienté ?
Les recommandations de Paul (Saint), ce merveilleux chantre misogyne, sont telles qu’il veut que les femmes soient soumises et silencieuses (2,11), qu’elles ne doivent ni enseigner ni faire la loi à l’homme (2,12) et, dans sa Première épître aux Corinthiens, il dit les choses clairement : « Le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme » (11,3). Les premières églises paléochrétiennes montrent, sur leurs fresques, des femmes célébrant la messe (Ce que conteste le Vatican !). Enfin ajoutons une douce pensée d’Épiphane de Salamine (Évêque, vers 400), qui sait apprécier le beau sexe : « Les femmes constituent une race faible, à laquelle on ne peut faire confiance, et d’intelligence médiocre ».


Comment ça se passe au Moyen-Âge ?
Jusqu’au VIII° siècle les femmes sont juridiquement sous la domination de leur mari, seules les aristocrates ont un statut social relativement élevé et peuvent accéder au pouvoir. Nombreuses sont celles, nobles ou roturières, qui participent à la guerre sainte et, à côté de grande figures féminines comme Aliénor d’Aquitaine qui, au XII° siècle, administrent leur fief en l’absence de leurs époux partis guerroyer, nous trouvons des Thomas d‘Aquin (1225-1274) pour affirmer : "la femme est un homme raté" !!!...


Et sous la Renaissance ou les Lumières, la femme renait-elle ?
Et bien non ! Même si certains penseurs comme Érasme (1466-1536) et Thomas More (1478-1535) pensaient que les femmes avaient besoin d’une bonne instruction, comme un homme, c’était pour parfaire l’éducation des enfants mais qu’elles ne pourront la mettre en pratique en dehors du foyer. Si pour Martin Luther (1483-1546) les hommes et les femmes sont égaux devant Dieu, le rôle des femmes est de se marier et d’assister leur mari. Seuls les courants protestants dissidents du XVII° siècle vont autoriser les femmes à prêcher et à devenir pasteur. Quant à Jean-Jacques Rousseau il écrit dans Émile ou De l’éducation (1762) : « … Ainsi toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps et ce qu’on doit leur apprendre dans l’enfance. » Enfin on retiendra le don de visionnaire du grand philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) qui prédit que les femmes « ne sauraient embrasser les sciences, ces dernières relevant d’un "entendement sublime". »


Heureusement pour ces dames, la Révolution et l’Empire vont améliorer leur situation !
Que nenni ! Malgré la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens, elles sont considérées comme des « citoyens passifs » mineurs. Un décret de 1793 les exclu de l’armée « L’héroïsme ne peut être que masculin. » Olympe de Gouges, morte guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, considérée comme une des pionnières du féminisme français, déclare : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir le droit de monter à la Tribune. »
En 1804 le Code civil napoléonien va encore accentuer les différences faisant des épouses des mineures à l’égal des enfants et des fous.


Continuons avec la femme du XIX° siècle
Le ton est donné avec les écrits du philosophe allemand Arthur Schopenhauer (1788-1860) qui qualifie les femmes de « puériles, futiles et bornées » qui « demeurent toute leur vie de grands enfants, une sorte d’intermédiaire entre homme et enfant […] La raison débile de la femme ne participe ni à ces avantages ni à ces inconvénients ; elle est affligée d’une myopie intellectuelle… » Mais, semble-t-il, le pompon de la goujaterie revient à Pierre-Joseph Proudhon qui n’hésite pas à écrire en 1858 « En elle-même la femme n’a pas de raison d’être [ !? ] ; c’est un instrument de reproduction qu’il a plu à la nature de choisir de préférence à tout autre moyen. » Qu’en pense Euphrasie, son épouse ? Après on s’étonne que les hommes soient des machos… et les femmes, féministes !
La cause des femmes trouve un allié en Stendhal qui, avec Le Rouge et le Noir (1830) et La Chartreuse de Parme (1839), formule des critique acerbes sur la position subordonnée de la femme.
Bravant l’interdit, Jeanne Deroin, une institutrice autodidacte, se présente comme candidate aux élections législatives du 13 mai 1849, rares sont les voix — y compris dans son camp — qui soutiennent cette candidature. Nous retrouvons Pierre-Joseph Proudhon, qui la juge « excentrique », et même des femmes comme George Sand ou Marie d'Agoult, alias Daniel Stern, l'estiment déplacée. Elle est moquée par Honoré Daumier, qui tourne en ridicule les aspirations de ses contemporaines au vote ou au travail et présentent leur émancipation comme une catastrophe pour l'ordre domestique.
À cette époque, l’entrée des femmes dans les usines est perçue par les hommes comme une concurrence, en particulier par les syndicalistes proudhoniens qui vont voter en 1866 le refus du travail des femmes !
Rien d’étonnant alors, lorsqu’il a fallu imaginer la famille préhistorique, qu’on l’ait construite sur le modèle de celle du XIX° siècle dans laquelle les femmes sont reconnues comme des êtres si inférieurs et si méprisés.


Enfin nous voici au XX° siècle libérateur…
Alors, bien sûr, nous commencerons le siècle en soulignant le "don de visionnaire du grand philosophe allemand Emmanuel Kant" (voir les Lumières) par le prix Nobel de physique décerné à Marie Curie (et accessoirement à son époux Pierre) en 1903 et celui de chimie en 1911. Et, avant d’entamer la litanie des détracteurs, penchons-nous sur cet obscur professeur au lycée de Besançon, Léon Abensour, né en 1889 qui écrit en 1921 dans sa préface de l’Histoire du féminisme de origines à nos jours : « …Hier considérée par tous les docteurs de la loi comme un être inférieur […] exclue par "l’infirmité de son esprit" des conseils de la cité, la femme se hisse peu à peu hors du gouffre où, pour les siècles des siècles, la malédiction de Jéhovah précipita Ève. […] Depuis un demi-siècle, et depuis 1914 surtout, la femme s’est montrée, suivant le mot de Voltaire, "capable de tout ce dont les hommes sont capables". »
Malgré tout l’héritage est lourd qui fait qu’en 1924, lorsqu’un décret permet aux filles de recevoir le même enseignement que les garçons, les préjugés sont si prégnants qu’il est mal vu qu’elles fassent des études poussées pour exercer un métier…
Alors que dès 1879 de nombreux pays avaient accordé le droit de vote aux femmes et que dès 1919 il fut adopté par la chambre des députés, le Sénat rejette systématiquement le projet de loi, il faut attendre 1944 et le Général de Gaulle pour qu’enfin les femmes deviennent « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »
Comme si ce n’était pas suffisant, les femmes ont un autre combat à mener, celui de la réappropriation de leur corps et de la maîtrise de leur sexualité. C’est en signant le texte « Je me suis fait avorter », en 1971, que Simone de Beauvoir et 343 autres signataires réclament le libre accès aux moyens anticonceptionnels et à l’avortement libre. Mais il faudra attendre 1974 et la loi Simone Veil, ministre de la Santé, pour obtenir la légalisation de l’avortement. Dans la lancée, ce sont les violences sexuelles qui sont sur la sellette : en 1980 le viol devient un crime ; en 1984 une loi punit les violences sexuelles ; en 1990 la Cour de cassation reconnaît le viol entre époux.
Mais les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes les femmes persistent. Mais la "machine" est en marche… Les mouvements suite à « l’affaire Weinstein » (2017), #BalanceTonPorc, #MeToo… ébranlent les consciences et posent les bonnes questions. Dans Le mythe de la virilité, la professeure de philosophie Olivia Gazalé montre combien le mythe de la supériorité masculine a organisé l’asservissement des femmes, mais condamné les hommes à un « devoir de virilité. » Ici, je tiens à citer "l’abominable" roman de Karine Tuil, Les choses humaines, couronné par le Prix Interallié 2019 et le Goncourt des Lycéens 2019, qui traite exactement de cette situation d’asservissement (sexuel) de la femme et que, malheureusement, une grande majorité des lecteurs a applaudi (sur 331 lecteurs 77 % ont donné une note entre 7 et 10 et… 12 ont eu un coup de cœur !).


C’est au cours des années 1980 que l’historienne Américaine Joan Scott introduit la notion de genre, en tant que norme sociale, dans l’analyse des processus historiques de domination masculine. Pour comprendre comment s’élabore le masculin et le féminin et les relations entre les deux sexes qui en découlent, il faut distinguer le sexe, qui relève du biologique, et le concept du genre, qui relève de l’organisation sociale et politique.
Dans le système patriarcal, les garçons et les filles sont élevé de façon différente, genrée, particulièrement en ce qui concerne le rapport aux autres. La vulnérabilité est décrété féminine, les garçons doivent, quant à eux, la masquer et abolir toute empathie. Ce détachement permet d’instaurer un ordre politique avec des subordinations. Les parents élèvent encore leur fille en vue du mariage plutôt qu’ils ne favorisent leur développement personnel de sorte qu’elle est souvent moins spécialisée, moins solidement formée que ses frères et qu’elle s’engage moins totalement dans sa profession et renforce son désir de trouver un mari. Tout engage les femmes à vouloir plaire aux hommes et se retrouver en situation de vassalité.
Les préjugés sexistes se retrouvent dans l’alimentation. Les femmes aiment le poisson, le thé et les légumes, c’est bien connu, et les hommes préfèrent la viande, la bière et le gras ! Pourtant les goûts alimentaires ne sont pas fixés dans le cerveau, ce sont les traditions culturelles véhiculées dès l’enfance qui créent cette différenciation. Cette ségrégation alimentaire, présente dès le Néolithique, aurait influé sur la taille et la corpulence des hommes et des femmes, apportant plus de protéines animales aux hommes qu’aux femmes.
En finir avec le patriarcat, cela passe également par la démasculinisation de la langue française. C’est au XVII° siècle qu’on décrète que le masculin prévaut sur le féminin. Depuis, des générations d’écoliers et d’écolières répètent inlassablement « le masculin l’emporte sur le féminin », se préparant à occuper des places différentes et hiérarchisées dans la société. Et que dire de la féminisation de certains noms, métiers, titres ou grades (Comme ces mots qui me font dresser les cheveux sur la tête et que je n’arrive pas à employer : écrivaine, autrice, commandante…) ?


Je voudrais terminer sur une anecdote personnelle, qui illustre bien l’esprit des "années 80". L’industrie aérospatiale bordelaise chez qui j’ai consacré 30 années de mon existence, m’a permis de suivre un long stage d’œnologie particulièrement sympathique et enrichissant. Un jour que nous abordions les vins du Médoc (Bordeaux) et plus particulièrement l’appellation Margaux (dont certains crus prestigieux, comme le Château Margaux, peuvent dépasser 1000 € la bouteille). L’œnologue officiant nous vantait les mérites de ces crus, leur terroir exceptionnel, leurs fruits rouges, leur rondeur et longueur en bouche et leur caractère particulièrement féminin… Alors, dans le silence recueilli de la dégustation, retenti soudain une voix (celle du patron du département Achats, connu pour sa verve et son esprit facétieux) lançant à la cantonade : « Je ne vois pas ce que vous lui trouvez de féminin, à ce vin... Il est très bien ! » Provoquant une violente réaction de la part du "chœur des vierges" présent… et les gloussements des mecs, goguenards.
C’est une plaisanterie, bien sûr, qui fait sourire, évidemment, et dont on pourrait entendre des variantes, encore aujourd’hui, n’importe où, dans un amphi d’étudiants, sur un chantier de fouilles archéologiques… mais « Je ne vois pas ce que vous trouvez de masculin, à ce vin… Il est très bien ! », est-ce que ça ferait rire ?


Enfin pour conclure, je ne peux m’empêcher de retranscrire cette phrase de l’auteure qui me semble tout résumer : « La connaissance des premières femmes de l’humanité pourrait rouvrir les portes fermées par des siècles d’obscurantisme. »


Note : Pour les personnes qui seraient intéressées par le sujet, je recommande vivement le numéro spécial de Sciences et Avenir de janvier 2021 qui titre "SAPIENS, Les dernières découvertes". Entièrement consacré à la préhistoire, avec des articles signés Yves Coppens, Pascal Picq, Évelyne Heyer, Marylène Patou-Mathis

Philou33
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le 24 déc. 2020

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