Dès la première page, je suis dans le bain, plutôt dans la Mégane ou la Corsa. Le livre démarre sur les chapeaux de roues ; « les pneus qui crissent sur le bitume gelé. »
Tout au long de cette histoire, il ne faudra pas se fier à ce que l’on voit ou sait. Iban Urtiz, dont c’est le premier emploi, en est le parfait exemple. Son nom, basque, ne signifie rien puisque, élevé par sa mère en Savoie, il ne connait pas du tout la région et encore moins le parler basque. C’est un « erdaldun » pur jus. Le rédacteur en chef de « Lurrana » lui confie l’enquête sur la disparition d’un jeune basque Jokin Sasco. Pour ce faire, il doit faire équipe avec Marko Elizabe, autre journaliste du canard qui, lui, est un basque pur jus, un « abertzale ». Comme toutes les cohabitations, celle-ci sera ardue, d’autant que Marko travaille dans son coin sur cette disparition. Mais, est-il net ?
Nous voici au cœur de la guerre sale entre l’ETA, les polices espagnoles, françaises et…. quelques mercenaires, nom moins sympathiques à mes oreilles que barbouzes.
Je découvre un récit haletant, parfaitement ficelé, d’une écriture sans fioriture au pays où un kidnapping de membres vrais ou supposés de l’ETA, s’appelle « l’incommunication ». Drôle de mot pour ce que subissent ces personnes. Tortures en tout genre, viol, dépersonnalisation… c’est sûr qu’il y a de l’incommunication entre les tortionnaires et les séquestrés !
En plus d’être un thriller, c’est un livre politique où je fus déroutée, effrayée, scandalisée. Il y a de la matière, c’est dense. Marin Ledun me fait découvrir cette lutte basque où tous les coups sont permis, où Iban Urtiz doit toujours avoir en mémoire ces termes « A qui profite le crime » pour essayer d’avancer. Marin Ledun offre une belle photographie des luttes. Pourquoi tant de mois avant la reconnaissance de la mort ? Que font ces espagnols à traquer les membres de l’ETA sur le sol français ? Pourquoi l’on tourne toujours autour du pot, les autorités françaises ferment-elles les yeux sur tant d’exactions ? Il y a-t-il encore de la torture en France pour des raisons politiques (enfin officiellement) ?
Marin Ledun flirte avec les frontières au propre comme au figuré. Elizabe, on ne sait pas trop de quel côté il se situe si ce n’est qu’à des lieues d’Urtiz, quoique… La police joue un double jeu, le procureur n’est pas net du tout, même les séparatistes éditent un communiqué pouvant laisser à penser. Bref, tout le monde sait quelque chose mais personne n’ose dire les mots par peur de... Je ne parle même pas des mercenaires à la solde du gouvernement espagnol qui n’ont plus aucune « justification » puisque le GAL est déjà dissout lors de « l’incommunication » de Jokin Sasco.
Elizabe et Urtiz ont cherché la vérité, s’en sont approchés, s’y sont brûlés. Pourquoi ? Pour rien.
Dernier paragraphe du livre : « Le jour de mon inhumation, alors que les vers et l’oubli achevaient de se partager mon cadavre, aucune des personnes présentes n’imaginait un instant que j’étais mort pour rien. Voilà pourtant la seule vérité qui vaille d’être inscrite sur ma tombe. » Dont acte. Cette fin amène, pour moi, la chanson de Brassens :
« O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente »