Leonardo Padura avec son " L'homme qui aimait les chiens" a fait un bien bel enfant à l'Histoire (dixit Alexandre Dumas ).
" C'était la chronique même de l'avilissement d'un rêve et un témoignage sur l'un des crimes les plus abjects jamais commis, non seulement parce qu'il affectait le destin de Trotski, après tout concurrent de ce jeu pour le pouvoir et protagoniste de nombreuses atrocités historiques, mais aussi celui de millions de gens entraînés -- malgré eux, bien souvent sans que personne ne se souciât de leurs désirs -- par le ressac de l'histoire et la folie de leurs maîtres déguisés en bienfaiteurs, en messies, en élus, en héritiers de la nécessité historique et de la dialectique incontournable de la lutte des classes"Cette réflexion que se fait Ivan, le narrateur cubain de cette longue histoire, résume bien ce que ce roman de Padura nous fait vivre, dans une démonstration et selon une construction sans faille.
C'est dans un climat de peur où règnent le mensonge et la délation que tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire vont voir leur vie et celle de leur proches détruites. La manipulation est reine et le manipulateur suprême est Staline ; le sinistre montagnard Géorgien qui perfectionne son oeuvre d'effacement de la mémoire.
A travers la nasse mise en place, dès le début de l'exil de Trotski, qui se refermera lentement sur lui et sa famille, après que chaque maillon ait été forgé et soudé à un autre, nous revisitons l'histoire du XXème siècle où des millions d'êtres vont être broyés. L'idéal révolutionnaire qui a fait se soulever des millions de personnes a été détourné au profit du pouvoir bureaucratique et totalitaire d'un seul. Que ce soit ceux qui ont été tués comme opposants ou déclarés comme tels, ou ceux qui ont tué en se croyant justifiés par leur participation à l'avènement de ce rêve de société égalitaire, ils auront au final tous été cyniquement dupés, laminés après avoir perdu toute individualité. Et au-delà de la révolte et du dégoût que peut susciter ce gâchis on ne peut s'empêcher de ressentir une grande compassion devant tant de souffrance.
Comme Ivan le narrateur, qui s'efforce de rassembler tout ce que Jaime Lopez, l'homme aux deux Barzoï, rencontré sur la plage, lui a confié de la vie de Ramon Mercader l'assassin de Trotski, le lecteur va vouloir savoir, comprendre, tenter de découvrir et démêler le vrai du faux. Et Leonardo Padura réussit à nous tenir en haleine par la grâce de son infini talent de conteur.