Un roman - qui aurait pu être immense - s'enlise dans didactisme et redites sur le stalinisme.
Publié en 2009 (et traduit en français en 2011 aux éditions Métailié par René Solis et Elena Zayas), ce gros (670 pages) roman du Cubain Leonardo Padura Fuentes, que je connaissais jusqu'alors pour son magnifique lieutenant Mario Conde, était son troisième "non-polar", et sans doute son plus ambitieux à date.
Le sujet est passionnant, puisqu'il s'agit, à travers la figure historique de Ramon Mercader, le cèlèbre assassin au piolet de Trotsky, de revisiter l'essentiel de la perversion du communisme par le mensonge stalinien (et ses tragiques conséquences, en termes d'hécatombe humaine bien entendu, mais aussi de discrédit politique total de l'utopie) , érigé en système, depuis ses racines soviétiques jusqu'à ses ramifications précoces durant la guerre d'Espagne et ses extensions tardives dans l'URSS brejnévienne ou le Cuba contemporain...
Suivant avec habileté trois narrateurs distincts (Ivan, un journaliste véterinaire cubain qui recueillera, d'abord sans y croire, les confidences de l'assassin historique sur le point de mourir, Trotsky lui-même, détaillant de manière poignante ses années d'exil et les innombrables avanies subies de la part des gouvernements du monde entier - à l'unique exception de celui du général mexicain Cardenas, en attendant le couperet de la vindicte stalinienne, et de Mercader lui-même, narrant sa transformation de jeune combattant espagnol républicain en spécialiste de l'infiltration et de l'assassinat au service de l'ancêtre du KGB), Padura réussit un bon (et par moments très bon) récit historique, mais m'a pourtant déçu.
Sans doute sous contrainte de "viser un très large public", la trame délicate d'une enquête rétrospective sur les crimes staliniens, et sur les duplicités sans nom et sans nombre du dictateur et de son système, s'étiole au fil des pages sous le poids du didactisme, des incises explicatives trop souvent insérées au forceps, des révélations qui n'en sont pas ou plus (bien que présentées comme telles), et de trop de répétitions malvenues. Même si le rythme d'une terrifiante lenteur ainsi instillé peut correspondre à celui de l'infinie patience de la haine de Staline envers Trotsky, le lecteur finit par désespérer quelque peu d'une conclusion à l'ouvrage, connue depuis le début, et à laquelle les 300 dernières pages n'apportent que bien peu d'éléments...
Dommage donc, d'avoir ainsi dilué une passionnante vision du mensonge d'Etat et de l'horreur institutionnalisée en un récit sur-pédagogique tirant bien souvent à la ligne... et de manquer ainsi le vrai chef d'oeuvre que le père de Mario Conde aurait pu nous donner.