Texte court, mais ô combien prenant que cet Homme qui mit fin à l'Histoire.
On y parle de crimes de guerre japonais pendant la seconde guerre mondiale, de devoir de mémoire, du travail de deuil et de ce qui fait le travail d'historien.
Ken Liu prend pour point de départ une découverte scientifique qui permet de revivre des événements passés comme si on y était. Je ne vais pas m'attarder sur le procédé complexe qui permet cette prouesse (ce n'est vraiment pas le plus intéressant), mais plus que d'un voyage temporel stricto sensu, il s'agit de recréer un moment donné de l'Histoire, en un endroit précis, que le sujet de l'expérience vit comme s'il y était.
Le bon point de cette méthode : on est en prise directe avec l'événement. Le mauvais point : une fois qu'on a été une fois en un moment précis de l'Histoire, celui-ci disparaît à jamais, et il est donc impossible de revoir ce moment.
Dans le roman, les inventeurs de cette méthode choisissent d'implanter leur machine en Mandchourie, sur les lieux où était située l'unité 731, un camp d'expérimentation médicale japonais fondé en 1932 et démantelé en 1945. Durant toute sa période de fonctionnement, l'unité 731 a été le théâtre d'expérimentations en tout genre sur des cobayes humains (des Chinois surtout), qui n'ont pas grand chose à envier à celles menées par le sinistre docteur Mengele en Allemagne.
Leur objectif : prouver l'existence de ce camp et les crimes qui y ont été commis (encore largement contestés par les négationnistes), mais également permettre aux descendants des victimes de faire leur deuil en voyant pour une dernière fois, qui leur grand-père, qui leur frère, etc...
Le récit est bâti comme un documentaire, chaque chapitre nous livrant un témoignage autour de cette invention et des informations qu'elle a permis de récolter, mais aussi sur les polémiques que son utilisation a soulevée.
En effet, outre l'imbroglio diplomatique que l'unité 731 soulève entre le Japon et la Chine (litige toujours en souffrance), se pose aussi la difficile question du travail d'historien. Doit-on utiliser cette machine sachant que chaque utilisation détruit à jamais l'événement observé ? Devait-on y envoyer des "profanes", et surtout des proches des victimes ? C'est toute la question de la mémoire collective, du devoir de mémoire et de la responsabilité des nations face à leur passé (pour ne pas dire leur passif) qui est posée.
Les réponses sont évidemment complexes, et Ken Liu est assez malin pour laisser ses lecteurs faire le cheminement seuls, se contentant de donner des pistes de réflexion. N'en reste pas moins un texte fort, mémoriel en diable, qui éclaire un pan encore fort peu connu de la seconde guerre mondiale, et qui ne laisse pas indifférent.