Poursuivant ma découverte de l’œuvre de Richard Matheson, un auteur que je n’ai guère pratiqué jusque-là, me voilà confronté à L’Homme qui rétrécit, un des titres majeurs de sa bibliographie. D’emblée, le roman n’usurpe pas sa réputation de classique incontournable. Je serais même tenté de parler de chef-d’œuvre n’ayant guère de critique à émettre sur l’objet. Certes, l’argument de départ peut paraître léger. Ce rideau d’embruns radioactif, facteur déclencheur du processus de rétrécissement, et surtout son explication flirtent un tantinet avec l’invraisemblable. Fort heureusement, Richard Matheson a le bon goût de ne pas s’étendre sur le sujet, optant pour la description de ses effets sur la vie du héros, un Américain lambda, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale. Tout l’intérêt du roman se trouve d’ailleurs dans ce récit à hauteur d’homme. Un homme diminué (euphémisme !) contraint de s’adapter à un décor familier devenant progressivement hostile, perdant au passage son identité.
Alternant les flash-back comme autant de jalons dans le rétrécissement de Scott Carey, Matheson met en place un huis-clos angoissant. Enfermé dans la cave de sa maison, dans l’impossibilité d’avertir ses proches, Carey doit faire face au désespoir, puisant au fond de lui-même l’énergie et l’intelligence nécessaires à sa survie. Il rapetisse chaque jour. D’après ses calculs, il ne lui reste plus que six jours avant de disparaître complètement. Réduit à néant.
Dans ces conditions, pourquoi continuer à se battre ? La question le taraude mais, il préfère écarter la réponse, se consacrant à entretenir un instinct vital extraordinaire, qui semble croître à mesure qu’il diminue. Il n’a pourtant pas la tâche aisée car la cave abrite une menace implacable. Une araignée prenant peu-à-peu des proportions monstrueuses et dont il devient bien sûr la proie.
En dépit des apparences, L’Homme qui rétrécit ne se limite pas à ce struggle for life cher aux Américains. Bien au contraire, le roman de Richard Matheson explore le microcosme, ouvrant des perspectives vertigineuses vers l’infiniment petit. La transformation de Scott Carey bouleverse son point de vue sur le monde. Les lieux familiers de son univers deviennent petit-à-petit inhospitaliers et le moindre des actes du quotidien se transforme en exploit périlleux. Mais surtout, ce changement de paradigme influe sur les relations avec ses proches générant frustration et colère. Et puis, il y a le regard d’autrui. Carey est un cobaye, objet de la curiosité des scientifiques et un phénomène de foire suscitant une presse malsaine, avant de devenir la proie d’un adulte dévoyé, puis d’adolescents cruels ayant décidé d’en faire leur souffre-douleur. De quoi le vacciner définitivement d’une espèce humaine qui, à la différence de l’araignée de la cave, n’a même pas l’excuse de l’impératif vital pour justifier sa conduite.
Le récit recèle enfin quelques moments délicieusement transgressifs, étonnants pour l’époque, tel ce chapitre où Scott Carey joue au voyeur avec la baby-sitter embauchée par son épouse pour garder leur fille, fantasmant plus que de raison sur l’adolescente. Le passage laisse affleurer une perversité troublante, les pulsions sexuelles du héros contribuant à accentuer sa frustration. Lolita n’a qu’à bien se tenir…
Bref, L’Homme qui rétrécit se révèle un roman formidable au ton très moderne. Un classique, je me répète, au meilleur sens du terme. Voilà qui augure bien du prochain titre que je dois lire, Le jeune Homme, la Mort et le Temps. Bientôt.
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