En croisade contre la bêtise
Andrus Kivirähk est une star dans son pays, j'ai nommé l'Estonie. A 40 ans passés, il a déjà publié de nombreux romans, fort populaires là-bas, dans lesquels il n'hésite pas à dénoncer violemment les travers de notre société. "L'homme qui savait la langue des serpents" est son premier roman traduit en français.
Le thème de cette fable - car c'en est une - est tout à fait sympathique : dénoncer les réactions stupides des humains face au Changement, à la modernisation. Il fait le choix de placer son intrigue dans un moyen-âge obscur, dans lequel les humains quittent peu à peu la forêt, où ils ont toujours vécu en connivence avec les animaux (dont les serpents), pour aller stupidement dans des villages pour cultiver des champs, manger du pain et adorer Jésus Christ.
Le propos de Kivirähk est intelligent : s'il s'en prend brutalement aux gens qui renient leurs racines, acceptent docilement un nouveau dieu et se plient à de nouvelles superstitions ridicules, il ne manque pas non plus de s'attaquer à ceux qui s'accrochent coûte que coûte à leurs vieilles coutumes, tout aussi risibles parfois, et qui refusent de reconnaitre l'inéluctabilité du progrès. C'est plutôt bien vu de sa part, en effet, tant il semblerait plus raisonnable de parvenir à un équilibre raisonné entre modernisation et attachement à nos racines. La postface est d'ailleurs très éclairante sur ces points, avec même quelques infos fort intéressantes sur le contexte estonien.
Mais... et oui, il y a un sérieux mais, selon moi. J'ai bien intégré l'idée qu'il s'agissait d'une fable, d'un pamphlet, qui verse donc logiquement dans l'excès pour mieux insister sur son message. Mais j'avoue avoir été passablement dérangé par les nombreuses incohérences dans l'histoire, la psychologie primaire de tous les personnages sans exception (quel est le message, là : tous les humains sont des débiles profonds ??), l'absence de nuance dans la critique du fait religieux, et une histoire qui sombre de plus en plus dans le gore au point que c'en devient insoutenable. Si j'en comprends les raisons, je trouve cette sorte de croisade contre la bêtise largement excessive et maladroite dans son expression.
Une découverte intéressante, donc, dépaysante ; mais Kivirähk ne m'aura pas convaincu, loin de là...