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L'Homme-Rune
7.8
L'Homme-Rune

livre de Peter V. Brett (2008)

Entre Ombres et Lumières, les Hommes s'attachent désespérément à survivre.

La saga du cycle des démons, dont L'Homme-Rune est le premier tome, est un condensé du classique qui oblitère totalement les mauvais essais du genre, tels que l'épée de Vérité, devenue une incroyable machine à fric (pourtant, tout avait bien commencé...). Peter V. Brett a compris que les amateurs de fantasy en avaient marre d'être pris pour des demeurés incultes par des auteurs qui se contentent, au moyen de récits reprenant les bases classiques du genre, de nous mettre de la magie, des grands sorciers, des grands méchants, et des gentils héros tous plus parfaits les uns que les autres. Comme si un "Homme de Bien" ne faisait qu'enchainer dans une concordance parfaite les bonnes actions et les bons choix tout au long de sa vie. Si un Homme était capable de vivre de cette façon, on l'appellerait Dieu. Qu'il existe ou non, là n'est pas la question. Si l'on choisit de mettre en scène des Hommes, même dans un univers fictif, que l'auteur ait au moins le courage de les faire agir comme des bipèdes maladroits plutôt que comme des déités cosmiques. Peter V. Brett l'a parfaitement compris, et je serais bien le dernier à m'en plaindre.

Une fois n'est pas coutume, c'est bien Harly, au moyen de sa persévérance légendaire à me convaincre de m'intéresser aux oeuvres qui me sont inconnues mais dont elle sait parfaitement qu'elles collent à mes goûts, qui m'a convaincu pour l'Homme-Rune. J'insiste sur son obstination à me faire découvrir l'oeuvre, car le titre (je sais, c'est stupide mais bon...) me rebutait sérieusement, et elle a dû vraiment argumenter pour me convaincre de franchir le pas de l'achat. D'ailleurs, Harly ayant rencontré l'auteur Peter V. Brett à un salon du livre, elle m'en a donné une image encore meilleure de ce talent en pleine expansion. Mais revenons à l'essentiel : L'Homme-Rune.

Un monde moyen-âgeux, guère différent dans le fond de ce qu'a pu connaitre notre véritable Histoire, dans lequel les humains partagent la nuit avec des démons. Mais des démons qui font honneur à leur dénomination : sans pitié, peut-être même avec un plaisir malingre, ils déchiquètent et dévorent allègrement toutes les créatures vivantes qui croiseraient leur route, même ceux de leur race qui seraient affaiblis. En somme, de vrais démons, mais qui, heureusement, ne peuvent sortir de leur monde sous les rayons solaires. Toutefois, aucune arme existante ne peut les blesser, et le seul moyen pour se protéger de ces créatures consiste à dessiner des runes afin de protéger les habitations, dans lesquels les humains se réfugient désespérément dès la nuit tombée. Toutefois, la moindre erreur dans le dessin d'une rune, ou l'effacement d'une partie de celle-ci du fait de l'usure, condamne tous les Hommes qui se seraient réfugiés dans son champ protecteur puisque les démons, êtres possédant un minimum d'intelligence, en profiteront immédiatement pour s'infiltrer dans la brèche et festoyer allègrement de ces êtres apeurés qui se sentaient en sécurité derrière leurs murs. Ainsi, Les Hommes vivent désormais dans une terreur continuelle qui perdure depuis des siècles, et la mort, le massacre et la perte d'êtres chers sont devenus une routine exaspérante, mais à laquelle tout le monde s'accommode, engourdis qu'ils sont par des peurs autant intimes qu'immémoriales.

C'est dans cet univers que grandit Arlen, un jeune garçon de 13 ans (je crois), que l'on verra rapidement passer à l'âge adulte. Ayant refoulé son village d'origine, ainsi que sa famille suite à une terrible tragédie, il décide de partir découvrir le monde et affronter ses peurs, puisqu'il n'a que trop douloureusement compris que la peur poussait irrémédiablement les Hommes à commettre des actions aussi stupides qu'impardonnables. Voyager de par le monde, rien d'extraordinaire à ça, me direz-vous... Oui, mais lorsque l'on vit au sein d'un monde dans lequel on ne peut s'éloigner de plus d'une journée de marche (ou de cheval) d'un abri sécurisé par des runes, sachant que les villes et villages sont tous suffisamment espacés pour interdire ce genre d'entreprise, sa décision en devient presque héroïque.

Peter V. Brett a choisi le thème de l'opposition perpétuelle de l'Ombre et de la Lumière, tout en inscrivant en surface une sorte de manichéisme totalitaire. Oui, mais lorsque l'on gratte sous la surface, justement, on remarque rapidement qu'il ne fait que mettre en scène des Hommes, tout simplement. Il nous fait comprendre également que, bien que les démons représentent évidemment le Mal, ils n'en sont qu'une facette, et que les Hommes peuvent également faire le travail à leur place. L'être humain a toujours été comme ça, sa véritable nature controversée a toujours autant défié le Bien que le Mal, et y rajouter quelques démons qui s'éclatent à déchiqueter des humains ne change rien à l'affaire. Les Hommes n'ont besoin d'aucune aide pour être capable du meilleur, et encore moins du pire. Le problème ici, c'est qu'avec les démons en plus, la survie de la race humaine tient vraiment à peu de choses. Mais finalement, cela ne diffère pas vraiment de notre société actuelle dans le fond, puisque Brett s'est simplement contenté de remplacer la menace de guerre nucléaire qui, faut-il le rappeler, pèse sur nos têtes depuis des décennies, par une menace démoniaque. Il ne fait donc, en un sens, que donner corps à une menace virtuelle mais paradoxalement tout aussi réelle.

Dans l'Homme-Rune, le récit est centré sur les pérégrinations de trois personnages radicalement différents, mais dont les expériences et la personnalité les rend tous aussi intéressants. Impossible de râler plus de deux pages lorsque l'auteur change de personnage, puisque la volonté de connaitre la suite du précédent est rapidement remplacée par l'attirance envers le nouveau récit proposé. Bien entendu, on assistera à terme au fameux chassé-croisé des récits, sans que cela n'entache en rien la fluidité et l'immersion dans la narration proposée, bien au contraire.

En effet, Peter V. Brett fait montre d'un talent incroyable pour tenir en haleine son lecteur, lequel est ardemment choyé par une volonté sincère d'exprimer toute sa passion pour la fantasy sans, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres, se poser la question mortelle : "Qu'est-ce que je vais bien pouvoir mettre pour faire plus de fric ? Tiens, pourquoi pas un dragon, un mage surpuissant, un grand méchant, et puis des nains et des elfes ; les cons, ils aiment bien la magie et les elfes. C'est l'effet Legolas, ça..."

NON ! Ici, on est plongé dans un récit porté par un amour passionné du genre, sans prétention aucune. Des hommes, des monstres, humains ou non, de l'amour, de la peur, de la terreur, du courage, de la bêtise, de la foi, de la trahison, de l'amitié, de la lâcheté... Peter V. Brett a créé l'introduction d'une superbe fable sur l'Homme, ses envies, ses peurs et ses vices les plus intimes bien trop aisément oubliés par les auteurs à vocation VRP de luxe. Du classique, certes, mais vraiment excellent. Une des oeuvres, tous supports confondus, les plus immersives qu'il ne m'ait jamais été donné de découvrir au cours de mes vingt-cinq petites années d'existence. Superbe.
Taurusel
9
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le 1 mars 2012

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Taurusel

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