Il y a suffisamment de critiques élogieuses de L'Innommable pour que je n'y ajoute pas la mienne. À aucun moment la lecture de ce dernier livre de la trilogie ne m'a semblé indispensable ; quasiment tout ce qu'on y lit Beckett l'a déjà fait dans Molloy ou dans Malone meurt.
Au lieu d'être prisonnier de sa chambre le personnage est prisonnier de sa propre tête ; et au lieu d'intervertir les récits narratifs de ses faux souvenirs avec des monologues intérieurs digressifs, nous avons ici presque uniquement du monologue intérieur, avec certes des passages intéressants où l'on suit une pensée chaotique dans un "courant de conscience", mais qui constitue surtout pour le personnage une manière de parler pour parler, pour se maintenir en vie, par peur de ce qui se passerait s'il s'arrêtait, et sa peur du silence le conduit à meubler, à occuper le terrain de la parole, du discours sur rien. Il lance des hypothèses sur la nature de sa situation (conscience sans corps, sans souvenir ni identité, et proche de la mort), des hypothèses sur ces hypothèses, encore d'autres sur ses hallucinations visuelles et auditives (à moins que ce ne soit le son de sa propre voix, mais a-t-il une voix ?), sur la nature de ces voix (à qui sont-elles, à lui ou aux autres, qui parle quand il parle, est-il lui-même, et que ce passerait-il s'il se taisait ?), mais quoi qu'il arrive il faut qu'il continue à parler, qu'il trouve quelque chose à dire et vite vite il trouve toujours de quoi remplir sa page. L'intérêt de la démarche est surtout conceptuel, c'est le fameux roman "avec le moins de matière" dont aurait rêvé Flaubert.
Plus concrètement, il s'agit de de 210 pages de babillages stériles. J'adore Beckett mais là c'est trop : lourd, indigeste, ennuyeux et gratuit.