A quoi ressemblait la société française du début du XXIe siècle se demanderont peut-être un jour les archéologues du futur. Ils se pencheront alors sur ces objets bizarres de ce temps, appelés livres. Nul doute que L'invention de nos vies puis L'insouciance de Karine Tuil nourriront leurs recherches et leurs réflexions. En attendant, et sans le recul nécessaire, ces récits qui racontent notre époque ont-ils valeurs de témoignages réalistes ? Là-dessus, les avis seront vraisemblablement partagés, entre authenticité et caricature, la marge est parfois bien étroite et ce n'est qu'à l'aune du plaisir de la lecture que l'on se référera, ce qui n'est déjà pas si mal. De ce point de vue, L'invention de nos vies était percutant et passionnant alors que L'insouciance, peut-être parce qu'il vient après mais aussi parce qu'il semble plus radical et sans sas de sécurité, apparait davantage artificiel et savamment construit pour étayer une thèse, celle d'un pays traversé par ses contradictions et miné par ses obsessions à propos des origines. Dans le livre, les trois principaux protagonistes masculins (les femmes sont hélas moins présentes, moins actives en tous cas) connaissent la déchéance après avoir rêvé trop haut ou ambitionné trop fort. Le thème des origines sociales et raciales, dont il est sans cesse question, se transforme en quête identitaire et en chute d'un piédestal. Le mélange est détonant, les péripéties abondent dans ce roman où la scansion et l'énumération affolent parfois au détriment d'une quelconque respiration. Ce n'est pas que l'écriture en soit boursouflée mais elle est plutôt chargée avec en sus un aspect feuilletonesque comme si la romancière s'attelait à une série du type "Plus laide la vie." Cela ne manque pas de puissance mais souvent de nuances. En particulier sur le plan psychologique car les héros du livre n'en finissent pas de changer d'avis, de façon incompréhensible, y compris dans l'histoire d'amour centrale, fil rouge tremblant et soumis à moult revirements. C'est vrai que L'insouciance agace assez souvent et éloigne de sa zone de confort mais le livre, en contrepartie, est bourré d'énergie et avance comme une voiture-bélier. C'est du brutal, comme aurait dit Audiard, avec ses excès et ses raccourcis mais c'est efficace et corrosif. Bon, maintenant, est-ce bien représentatif de la France du début du XXIe siècle ? Vous avez trois heures.

Cinephile-doux
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le 17 déc. 2016

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