Lu en Février 2020. Traduction de François Kérel revue par l'auteur. 10/10
L'insoutenable légèreté de l'être est une véritable claque dans mon paysage littéraire et philosophique, et ce dès le premier chapitre, je dirais même surtout le premier chapitre qui me semble s'apparenter au nec le plus ultra de la vulgarisation philosophique. Reprenant la thèse Nietzschéenne de "L'éternel retour", Tomas est un concentré des pensées que tout à chacun a déjà éprouvées sans jamais pouvoir les exprimer.
Ainsi, le roman s'évadera sur de nombreuses questions existentielles. Et ce, sans qu'il n'y ait de véritable blanc, nous suivons au moins avec curiosité le fil rouge des différentes considérations sexuelles qui se posent aux protagonistes. De plus, bien que le couple Tomas/Tereza soit au centre, on ne se sent pas lésé du couple( ou même des personnages dans leurs individualités) de Sabina et Franz.
Chacun des personnages représente une façon d'être, quatre types de personnes que Kundera définit lui-même durant son œuvre (il se livre régulièrement à des commentaires externes, brisant le 4ème mur. Chose qui ne me semble pas fréquente mais qui est justifiée).
Ainsi, si on peut discuter de la pertinence de chaque raisonnements, on ne peut douter qu'il y a un débat qui nous est d'office proposé pour chaque question. Questions qui peuvent sembler parfois truistiques mais qui sont souvent bien difficile à exprimer. Et c'est la force de cette œuvre, il arrive à dire les choses. Et beaucoup de choses. En vrac : La dualité âme/corps ; La nécessité et la contingence ; Le désir et l'amour ; Le kitsch ; Le totalitarisme et la liberté ; L’anthropocentrisme et l'ethnocentrisme etc...
Ainsi, Kundera s'avère souvent d'une grande actualité proposant une réflexion sur ces thèmes toujours discutés. Mais une fois de plus, rien n'est ennuyeux. On se laisse porter par les aventures de Tomas (dans tous les sens du termes), jusqu'au prochain paragraphe puissant qui posera une question puissante et fondamentale. Une question qui mérite bien souvent d'être remise en question, ainsi il serait réducteur d'accuser Kundera de partager des banalités, de faire de la philosophie de comptoir.
Je veux aussi noter le mode de narration, se perdant parfois dans le temps, sorte de mise en abîme de son discours (le temps est linéaire mais relatif, et à l'image de Karénine on peut en faire quelque chose de cyclique). Ces analepses et prolepses m'ont fait penser aux récits déstructurés de Tarentino que je découvre ces derniers temps. La connaissance de la mort d'un personnage n'entachant en rien la continuité de son histoire.
Kundera part aussi deux trois fois dans quelques trips étranges (le mont de pierre ; le lièvre ; les femmes nues dansant autour de la piscine). Délires souvent dérangeants un peu floues, mais qui semblent être une nouvelle mise en abyme tant l'importance des rêves est soulignée par l'auteur.
L'insoutenable légèreté de l'Être est donc une grande réussite et une grande satisfaction de lecture personnelle ne m'attendant à rien de spécial si ce n'est beaucoup de blabla. Il a su me porter très vite à la fin, émaillant un récit léger, de questions insoutenablement pesantes pour l'Homme.
"Une fois ne compte pas, une fois c'est jamais. Ne pouvoir vivre qu'une vie, c'est comme ne pas vivre du tout".
"L'amour peut naître d'une seule métaphore"
"Le rêve est la preuve qu’imaginer, rêver ce qui n'a pas été, est l'un des plus profonds besoins de l'homme"
"La culture disparaît dans une multitude de productions, dans une avalanche de phrases, dans la démence de la quantité"
"Vaut-il mieux crier et hâter sa propre fin ? Ou se tarie et s'acheter une plus lente agonie ?"
"La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch"
"Le véritable test moral de l'humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux"
"Le droit que nous avons sur la vie des animaux nous semble aller de soi parce que nous sommes au sommet de la hiérarchie. [...] Mais il suffirait qu'un tiers s’immisce pour que l'homme (éventuellement grillé à la broche), se rappelle peut-être alors la côtelette de veau qu'il avait coutume de découper sur son assiette et présentera (trop tard) ses excuses à la vache"