J'attends encore
Titre polémique (ou enthousiasmant c’est selon), auteurs anonymes, édition de gauchistes brillants, le petit opuscule « l’insurrection qui vient » du Comité invisible est un objet politique et...
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le 22 janv. 2015
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Lorsque j'ai lu l'insurrection qui vient, un peu avant la vingtaine, j'en ai été tout à fait ébloui et (re)vigoré. Une révolution (en l’occurrence une insurrection) non-violente dans son premier mouvement, tout à fait lyrique et poétique, aboutissant sur la formation d’un autre monde, plus conforme à ce qu’on imagine être son intériorité éthique (une vie saine, dégagée des désirs superficiels du capitalisme publicitaire et du travail aliénant). Le programme, ainsi, présenté chante bellement. Le programme, hélas, quitte trop rarement la partition pour insurger le monde.
En somme nous disent-ils, et cette ligne traverse tous les écrits des « destituants »(Agamben, lundi.am etc), il nous faut collectivement déserter « ces institutions ». C’est à dire quitter les dispositifs qui nous entravent, nous empêchent et permettent (sont la condition de) la reproduction de la société capitaliste. Il nous faut donc nous arracher à ces territoires perdus de la liberté pour fonder, loin des dispositifs mortifères et aliénants, des communes(autés) où nous établirons la (notre) « vraie vie ». Ce mouvement, la désertion, s’accompagne, à terme, d’un renversement des institutions en place ; les communes nombreuses, disséminées, accueillant la foule des déserteurses, pourront imposer un rapport de force aux institutions-dispositifs en vigueur.
L’idée de territoire, pour le CI, fonctionne en deux temps : désertion, on l’a compris, pour rendre sans objet (au sens littéral, presque) le pouvoir ; territoire aussi parce que, symboliquement et réellement, il faut avoir des « places fortes » pour combattre, les lieux imaginaires - comme les armes rhétoriques (c’est pour vous les « poésie=résistance » et autres dégénérés) - ne produisent guère d’effets…
Si la question du rapport de force est la juste question à poser il est douteux que des communautés puissent jamais atteindre la taille critique les rendant de taille à affronter l’appareil d’Etat qui place, comme on n’a pu le voir avec Julien Coupat, sous surveillance les déserteurs. Cet ailleurs non-clandestin n’échappe en rien au maillage serré des institutions et se trouvent donc pris dans les dispositifs (en poussant plus loin on pourrait dire, même, que de devoir agir en fonction de la surveillance qui lui est imposée, les « gestes » - terminologie usuelle des destituant·es - se voient conditionnés, agis, conduits par les dispositifs desquels ils prétendent s’exciper). Le pouvoir s’il devait jamais voir une « institution » de cette sorte le menacer emploierait gendarmes mobiles, LBD, procureurs et lois d’exceptions pour la piétiner.
Plus jeune je les croyais possibles leurs possibles, plus jeune lorsque je croyais moi que j’étais fait de ciel et que le soleil, moyennant un petit effort d’imagination, pouvait - je veux dire le soleil réel, brûlant, presque pas métaphorique - devenir bien commun (socialisation des moyens de production poétique).
Il faut reconnaître au CI plusieurs vertus cependant. La première qui ne pouvait, pour une simple question chronologique, leur être offerte au moment de la parution du livre : ses membres, immédiatement, ont rejoint et encouragé le mouvement des Gilets Jaunes quand la « gôche » les regardait encore avec méfiance (s’insurger parce que le prix de l’essence augmente manquerait de noblesse ; or la « gôche » morale est tout et surtout aristocratique). Secondement, c’était vrai alors et ça l’est toujours, ils mettent en acte leurs discours, ils occupent - ou le tentent - des « territoires » (s’ils n’inventent pas la ZAD, ils l’occupent). Nous sommes loin des « cabanes » de papier, architecturés et édités dans le XIème arrondissement de Paris, avec à la main une bière - avec ou sans gluten - (micro-)brassée localement.
Le CI donne de la consistance à ce « Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci » (Eluard n’a jamais écrit ça cependant, la citation nous parvient déformée).
Aussi, surtout, les succès de librairie des livres du CI doivent nous interroger. Le CI, sans nier la réalité matérielle de son engagement (Gilets Jaunes, communautés) « vend » un rêve lyrique, un chant qui ne fait pas bouger la tête à grand monde au-delà de sa lecture…
Certes, il sensibilise, il participe, on pourrait dire, à la formation d’une « hégémonie culturelle » en imposant dans les représentations de chacun·e le possible d’un « autrement ».
L’insurrection qui vient, hélas, ne peut arriver.
Force, seulement, est de constater l’état de cette « hégémonie » les intentions de vote de la gauche, considérée de façon hyper extensive (incluant Jadot et Hidalgo sociaux-démocrates tièdes) touchent à peine les 25%. La droite concentre 75% des votes en France, au moment d’une crise écologique d’envergure, d’un déséquilibre pire que jamais entre le capital et le travail. Il n’est pas à douter, même, que certain·es au pouvoir lisent, des étoiles dans les yeux, les ouvrages du CI, éblouies comme l'adolescent que je fus, puis signent décrets et ordonnances, puisque ce monde, le seul monde possible, est le meilleur des mondes.
Créée
le 24 nov. 2021
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Ce n'est même pas original. Comme leurs ainés avant eux, on a une bande de jeunes gauchistes qui voient le monde à travers leur nombril et fantasment sur la révolution qui doit changer ce monde de...
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