Pourtant, ça avait l’air bien parti, ce début de colonisation de Mars, une équipe motivée et compétente, tous les yeux de la Terre tournés vers eux, l’espoir d’un nouveau port d’attache pour l’humanité, même. Mais quelque chose à foiré, salement foiré. Un seul survivant parvient à revenir, en post-choc, se souvenant à peine de comment il est vivant. Tout le monde est mort, dans des circonstances troubles, Clay Sawyer souffre d’amnésie traumatique, et L’Agence Spatiale ne sait pas trop quoi faire de lui : elle a certes un survivant à présenter au public, mais si il se souvient de trop de choses, il peut devenir témoin embarrassant, et personne n’a envie de porter le chapeau d'un échec aussi retentissant. Pendant que Clay commence à se ressouvenir, des incendies géants embrasent la Californie, et on se rend compte que si la Terre devient de plus en plus inhabitable, la promesse d’une Terre 2 est peut-être elle aussi en train de partir en fumée.
Roman étrange, prenant, racontant une odyssée spatiale du seul point de vue du seul survivant, dont on finira par découvrir comment il a vu la mission échouer et restera seul avec ses questions et ses traumas. Déboussolé, perdu sur une Terre où il est à la fois sur-sollicité - visite permanente de médecins, surveillé en permanence -, et totalement seul face à lui-même, Clay va devoir affronter à la fois ses souvenirs et le dérèglement de tout autour de lui. Dire que la science-fiction est le genre-prétexte idéal pour parler de l’humaine condition est à ce point évident que rien que l’écrire semble une litote. Ici, l’exploration spatiale ne sera considérée qu’à hauteur d’être humain : pas de fusées qui décollent somptueusement, pas de musique grandiose, rien que des humains faillibles et contradictoires face aux conséquences d’un foirage majeur. L’occupation du ciel est un livre sur le deuil, la perte, et la reconstruction. Deuil intime de Clay - sa compagne était de l’expédition et est morte “là haut” avec les autres -, deuil des illusions perdues : l’Agence Spatiale qui l’a entraîné et présenté comme un de ces surhommes qui allaient conquérir les étoiles tente de lui mettre l’échec de la mission sur le dos, et a vendu beaucoup trop de rêve sur la possibilité de coloniser Mars. Perte de mémoire, perte de sens, perte de la Terre ravagée par les conséquences du réchauffement climatique, Clay se rend compte que tout le monde est aussi déboussolé que lui, mais les autres font juste mieux semblant. Nécessité de la reconstruction, enfin, personnelle de Clay qui petit à petit va se souvenir de ce qui s’est passé et devoir décider ce qu’il fait de la vérité. Et nécessité d’une reconstruction plus ambitieuse, celle de la Terre elle-même, puisque à force de tout privatiser, même l’espace - on nous apprend par ailleurs que les Etats-Unis ont signé en 2015 une loi autorisant l’exploitation et l’usage commercial des richesses potentielles spatiale, mettant ainsi fin à la notion de l’espace comme patrimoine commun de l’humanité -, on finit par oublier l’évidence : on a qu’une seule Terre. Mars est trop hostile pour s’y installer, et le rêve martien devient une chimère pour ne pas se poser les vraies questions, pour le coup très terre à terre : puisque l’enjeu, ce n’est pas aller voir ailleurs si on y est, mais déjà commencer à réparer ce qui est possible ici et maintenant. Un roman fin, subtil et par moment remarquablement tourné avec ses séquences de phrases originales, qui pose de très bonnes questions avec des réponses évidentes, finalement.