Dick expérimente, innove, et ne s'est jamais autant approché de la folie littéraire lorsqu'il écrit cet Oeil dans le Ciel en 1955. Car oui, il explore ici les univers parallèles mais avec une nuance psychologique que je ne peux préciser sans spoiler un élément important de l'intrigue.
Qu'il vous suffise donc de savoir que les univers en question partagent une même ligne chronologique et un même décor (une ville américaine somme toute banale) mais que les lois physiques y varient considérablement d'une itération à l'autre. Et chacune d'entre elle est l'occasion d'exposer un délire obsessionnel de Dick, de faire suinter son inconscient de miasmes tour à tour grotesques ou inquiétants.
Passées les premières dizaines de pages très terre à terre, c'est à un festival imaginatif qu'est convié le lecteur. Les idées vont loin, parfois trop, et l'on sent le talent littéraire de Dick s'épuiser lorsqu'il ne parvient pas à présenter de façon crédible une situation psychédélique ou que ses dialogues sautent une étape logique qui aurait permis de donner davantage de stabilité à tout ce bordel.
Et ce n'est peut-être pas si grave. Le vertige baroque de l'intrigue y gagne même sans doute. Ses personnages, moins archétypaux qu'à l'habitude, sont cette fois le cœur du roman. Et toutes les incohérences humaines nourrissent l'ambitieux projet d'un jeune auteur qui se perd volontairement, et se rattrape in extremis à un final convenu et même assez lisse. A défaut d'être bouleversant, la faute à un certain manque de profondeur dans le concept, le voyage fut dépaysant, fun et diablement inspirant.
L'Oeil dans le Ciel célèbre le pouvoir de nos esprits en même temps qu'il nous met en garde contre lui. C'est une fête solitaire et une introspection de groupe. En bref, le deuxième bon roman de science-fiction de Dick après Loterie solaire.