Tout comme Zénon, alchimiste, philosophe, médecin et vagabond, esprit libre et humain, cynique mais profondément bon, Marguerite distille avec subtilité l'Intelligence qu'elle renferme dans un flacon : Zénon, ou L'Oeuvre au Noir de son vrai nom.
Suivant les pérégrinations et les divagations du héros éponyme, l'auteure se perd dans diverses digressions, sur ses amours malheureuses, heureuses, hétéroclites et homophiles - mais sans indiscrétion - , sur ses liens de filiation, remontant aux origines, et sur les diverses mésaventures qui touchent ses compagnons.
Zénon, c'est l'art de la discussion, celle amicale, franche dans son élévation, celle riche et enjouée, où l'on est heureux de cette relation avec un esprit qu'on reconnaît frère en réflexion, celle qui nous fait voyager sans quitter notre salon. C'est la belle Argumentation, qui s'attaque au sublime sujet où personne n'a raison : la religion. Il est de bon ton de la critiquer, mais Zénon le fait avec humilité - pas toujours - et vénération (nous faisant quelques révélations qui pour l'époque ni même maintenant n'ont rien d'évident). Il ne combat pas l'aveuglement, car Zénon est clément : mais il met à disposition son savoir (et son humour dans de fausses prédictions qui le font ressembler à Nostradamus). Son talon d'Achille est sa franchise, le menant à une ultime dispute avec un trop tendre Criton. Comme Socrate, il meurt en apothéose et sa mort-même est son oraison.
Vous m'excuserez, je vous prie, ce texte bien indigeste et fort confus, porté par une plume maladroite, mais composé avec conviction. Car ce roman est d'une beauté écrite qui tire des larmes, et d'une justesse d'esprit éblouissante. Madame Yourcenar, bienvenue dans mon Panthéon.