Personne ne pourra taxer cet ouvrage de malfaçons ni de dégradations au cours du temps tant cette cette grande fresque romanesque s'avère documentée jusqu'aux plus petits détails. De très nombreux personnages fictifs ou réels, de tous les milieux sociaux, participent aux tableaux des mœurs et des idées en cours dans les Pays-Bas bourguignons, un peu à la manière de Brueghel l'Ancien. Prétendant à l'exhaustivité et par là-même parfois embêtant pour quelqu'un qui n'est pas passionné par les querelles religieuses et politiques de cette époque, il faudra par exemple attendre la page 178 pour suivre plus particulièrement Zénon le médecin philosophe (héros fictif), de sa naissance en 1510 sous le signe des Poissons jusqu' à sa mort par suicide à 59 ans moins six jours, après avoir refusé de se rétracter.
Conçu d'après le personnage sombre du tableau Melancholia de Dürer représentant le génie humain, l'auteure avoue dans ses Notes avoir vécu en pensée toute sa vie avec lui, ainsi qu'avec Hadrien, et avoir apporté des retouches incessantes en fonction de sa propre évolution.
Contemporain du médecin catalan Michel Servet, condamné au bûcher par Calvin, de l'éditeur Etienne Dolet, brûlé par les catholiques Place Maubert, la vie de Zénon est aussi inspirée par celle du philosophe humaniste Giordano Bruno, brûlé comme hérétique à Rome et dont le pape Jean-Paul II a refusé la réhabilitation en 1981. Comme quoi il valait mieux ne pas être intelligent à cette époque, et ce qui révèle aussi que l'évolution des idées est loin d'être gagnée d'avance.
Un livre qui se mérite, mais les Notes de l'auteure à la fin de l'ouvrage permettent de mieux comprendre ses ambitions.
PS La formule de l’Oeuvre au Noir s'entend symboliquement des épreuves de l'esprit se libérant des routines et des préjugés, par préjugés il faut comprendre ici essentiellement ceux de la Religion.