En 1880 (année 13 de l’ère Meiji), le narrateur alors étudiant réside à la pension Kamijo, sise juste en face du portail de l’université de Tokyo. Il devient ami avec Okada, un beau garçon qui réside également à la pension et en devient l’élément central grâce à sa prestance. Okada sort régulièrement se promener en ville et passe souvent pente Muen où il finit par remarquer une jeune femme qui le regarde passer depuis sa fenêtre. Comme il la trouve charmante, débute un ballet qui les voit se saluer à chaque passage.
En parallèle, le narrateur nous conte l’histoire d’Otama, charmante jeune fille issue d’une famille de condition modeste. On devine aisément qu’elle n’est autre que la jeune femme qu’Okada salue régulièrement. On sent aussi très rapidement que cette timide approche ne demande qu’à devenir une belle histoire d’amour. Le narrateur omniscient nous donne accès aux pensées de la jolie Otama qui se demande comment établir un contact permettant de faire pour de bon la connaissance de ce jeune homme qui lui plait.
Ce court roman (172 pages) qui date de 1911 vaut pour tout ce qu’il apporte sur la vie au Japon à l’époque, notamment dans les relations hommes/femmes, ainsi que sur beaucoup de détails pratiques, avec des mots de vocabulaire qui entrainent des explications sous la forme de notes de bas de page. Il vaut aussi pour la sensibilité qui affleure constamment, avec surtout celle de la belle Otama qui cherche régulièrement à échapper aux pièges dans lesquels la vie la place naturellement. D’abord sa condition initiale modeste qui lui fait chercher le moyen d’assurer un avenir satisfaisant pour son vieux père qu’elle chérit, jusqu’à lui cacher ensuite ce qui pourrait l’attrister. Ensuite, la demande en mariage d’un homme auquel elle ne peut pas dire non, alors même qu’il va se révéler un menteur. Et puis la proposition de Suezo, nouveau riche qui, à force de petites économies et de petits prêts, a pu s’établir comme usurier et devenir ambitieux. Une proposition qu’elle ne peut pas qu'accepter, alors qu’il ne lui offre que la condition de maîtresse entretenue (il est déjà marié, avec une femme devenue acariâtre). On ne saura rien de leur intimité, mais Suezo vient régulièrement voir Otama qu’il a installée dans une maison avec domestique. Comme il a également installé son père dans une maison à l’écart, Otama se sent obligée de plaire à Suezo. Enfin, il y a ce jeune homme qu’elle observe et salue à chacun de ses passages. Malheureusement, elle s’enferme elle-même dans une attirance dont elle ne connaît absolument pas la valeur. Forcément en attente sentimentale (d’autant plus qu’elle est encore très jeune), elle élabore une stratégie qui pourrait lui permettre de l’approcher pour de bon, qu’ils fassent enfin connaissance. Mais sa condition et sa timidité naturelle la freinent, suffisamment pour qu’elle perde ses moyens. Pourtant, ces deux-là sont attirés l’un par l’autre et ils pourraient filer le parfait amour. Ils pourraient pourquoi pas devenir comme deux inséparables, à l’image de l’illustration de couverture (même si ce sont deux bengalis).
Surtout, ce roman d'un amour raté nous donne à comprendre ce qui se passe dans l’esprit de chacun des deux protagonistes de cette tentative amoureuse. On finit par comprendre qu’Okada a d’autres priorités, alors qu’Otama est littéralement prisonnière de sa condition de femme entretenue. Sans s’en rendre compte, elle a des attitudes bien particulières. Quelque chose en elle évoque la geisha, mais une observation attentive fait comprendre qu’il n’en est rien. Et si la lecture se révèle poignante, c’est parce qu’on sent que malgré sa volonté d’approcher suffisamment Okada pour faire sa connaissance, son espoir de bonheur partagé ne supporterait pas sa concrétisation.