On m’a offert ce livre à Noël. Peut-être que Nathalie Saint-Cricq est publiée parce que trop de petits farceurs achètent ses bouquins pour les offrir en trollant. Par amitié et honnêteté intellectuelle, je me suis forcé pour atteindre, non sans mal, la moitié du livre. Parce que le problème principal du bouquin arrive très tôt, avant même qu’il ne commence, en réalité ; le livre est présenté comme un roman sur la couverture, une « histoire vraie » en quatrième, et l’autrice explique dans son prologue que tout est vrai, sauf « certains de mes personnages et ressorts romanesques les mettant en scène » (p. 15). Ah bon. Donc tout est vrai… Sauf le roman. Ce n'est évidemment pas la première autrice à jouer de la frontière entre fiction et réalité ; seulement, quand on lit dans le premier chapitre adoptant le point de vue du Général de Gaulle en 1960, « Aujourd’hui, comme longtemps par la suite, on ne parle pas des Juifs. Une indécence. Comme s’ils avaient simplement subi, et non pas, eux aussi, combattu » (p. 19), on se dit qu’il y a un gros problème : comment savoir si le Général de Gaulle a réellement eu cette pensée nauséabonde, qu’il faudrait parler des Juifs uniquement parce qu’ils ont combattu – ce qu’ils ont subi ne suffisant apparemment pas ? On ne sait pas ce qu’on lit, c’est très très embêtant. En plus, l’intrigue ne m’intéresse absolument pas. Une affaire de traître enterré par erreur au Mont Valérien, très peu pour moi, surtout que cela prend la forme d’un polar, avec énigmes et suspense ; là je décroche complètement. Je ne peux même pas me raccrocher à l’idée que j’apprends quelque chose, que je lis du journalisme historique, puisque le pacte entre l’autrice et son lecteur n’est pas clair.

Cela nous emmène à un autre problème du livre, l’écriture. Saint-Cricq écrit avec une espèce de ton goguenard complètement déplacé, ses tentatives d’humour tombent toutes à plat et font soupirer bruyamment. « Il tentait cependant, mais en vain, de lui sortir le passé de la tête, ou plutôt la tête de son passé » (p. 33). Page 100, une allusion aux punaises de lit. Ah, ah, ah. Nathalie Saint-Cricq est un peu cette tante gênante aux repas de famille qui essaie de faire des jeux de mots, qui te regarde droit dans les yeux, toute fière de son trait d’esprit, et te tape dans le bras avec son coude. Et là, on arrive enfin à ressentir un peu de pitié pour Amélie Oudéa-Castéra. Le personnage principal, Désiré, l’enquêteur, est très raté, ce qui est quand même dommage dans un roman policier. L’autrice le prive même de son statut d’enquêteur puisqu’elle le balade de personnages en personnages qui en savent tous plus que lui, qui savent même toute l’histoire. Quel intérêt ? Elle lui invente, pour compenser, un soi-disant passé mystérieux d’enfant abandonné par sa mère en orphelinat. Passionnant. D’autant que l’on a au moins compris que ce personnage relève bien, lui, de la fiction, qu’il est un double-miroir de l’autrice. On ne croit donc pas aux personnages, les blagues sont ratées, le style est inexistant, et on tombe parfois sur des phrases absolument affligeantes, comme « Le chat ricana intérieurement » (p. 55). Ricaner intérieurement me semble déjà difficile, mais alors qu’un chat ricane, et en plus intérieurement ! On en vient à regretter les chats de Murakami…

Mais le tic d’écriture le plus horripilant de l’autrice est sans doute son surplomb un peu malin de grande éditorialiste qui veut montrer qu’elle a de la culture politique en plaçant des clins d’œil un peu partout dans le texte. C’est très mal fait, et donc insupportable. Pour décrire le rapport au politique d’un personnage, elle reprend le « c’est bonnet blanc et blanc bonnet » (p. 93) du communiste Jacques Duclos en 1965. On lit aussi « La peur était clairement passée dans son camp » (p. 81) en conclusion d’un chapitre grotesque où Désiré subit des intimidations sensées le faire renoncer à son enquête, manière fort peu élégante de moquer les mouvements féministes. En m’arrêtant à la moitié, j’ai dû rater le « monopole du cœur », « les réformes oui, la chienlit non » et « je crois aux forces de l’esprit ». Ça donne presque envie de continuer…

Écrire de la littérature, ce n’est peut-être pas un métier, mais ça s’apprend. Écrire un roman policier, ça ne s’improvise pas non plus. Faire partie du petit milieu médiatique et politique parisien permet certes d’accéder à la publication, mais pas à la littérature. Il y a donc encore une justice, et elle est littéraire.

antoinegrivel
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le 23 janv. 2024

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Antoine Grivel

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