Deuxième tome de la quadrilogie dystopique de Brunner, ce bouquin est tout comme son prédécesseur "Tous à Zanzibar", éminemment prophétique, et à vrai surprenant par la justesse avec laquelle il prédit des phénomènes qui se profilent voire se déroulent actuellement sous nos yeux. Alors qu'il a été écrit il y a un peu plus de cinquante ans. Certes, dans le livre, les situations sont un peu plus avancées (ou dégradées, devrais-je dire) qu'elles ne le sont encore, mais comme on y va - sauf demi-tour radical - tout droit, on pourrait dire que Brunner aurait peut-être pu situer son intrigue en 2050 ou en 2060. Communautarisme exacerbé, guerre raciale, omniprésence de médias racoleurs et de la publicité, formalisation extrême - par le contrat - des relations sociales, formatage des esprits par la psychologie / psychiatrie, technologies de l'information prédominantes et largement utilisées à des fins de surveillance, armes en (très) libre circulation dans la société : tout ça conduisant à la paranoïa, à l'isolement de chacun, à la recherche de spiritualités de pacotille et à l'usage immodéré de produits sédatifs et hallucinogènes.
Et, bien qu'écossais, Brunner persiste et signe en situant son intrigue aux États-Unis, pays auquel il faut croire qu'il porte une attention particulière, quoique semble-t-il il n'y ait jamais vécu. Pour autant, c'est un pays dont l'influence culturelle (au sens large) et sociétale est très forte, pour ce qui concerne la Grande-Bretagne, mais aussi le reste du monde, raison pour laquelle il n'est guère absurde de qualifier de visionnaire ce bouquin, y compris pour ce qui est de la France.
Quelques évolutions relevées par rapport à "Tous à Zanzibar" : sur le fond, dans ce dernier, les technologies de l'information étaient quasiment absentes dans ce qu'il imaginait de notre époque. Ici, Brunner se rattrape très très largement. Sur la forme, "L'orbite déchiquetée" reste un roman choral, mais est tout de même moins foutraque que son prédécesseur; et donc sans doute plus facile à lire, car mieux structuré, d'une maturité d'écriture plus marquée et construit autour d'une intrigue cohérente dans le cadre de laquelle les protagonistes se retrouvent tous plus ou moins impliqués lors de la chute. Un point commun, par contre, cette dernière insuffle un poil d'optimisme et une bonne dose d'humanisme au lecteur.
Un très bon bouquin, en définitive, plus accessible que "Tous à Zanzibar" et qui sidère par son caractère visionnaire.