L'Utopie
7.2
L'Utopie

livre de Thomas More (1516)

Voyage au pays des Soviets (ou pas)

Thomas More fait partie de ces auteurs humanistes que nous connaissons tous.


D’après mon édition (Librio) l’île d’Utopie pourrait signifier soit « l’île de nulle part » ou « l’île heureuse ». More aurait donné auparavant le nom de « Nusquama » (nulle part) à l’île dans une lettre adressée à Erasme (un autre humaniste connu pour son Eloge de la folie) ce qui confirmerait la première hypothèse.


More début son livre avec une partie qui sert finalement d’introduction, un voyageur raconte à More ses tribulations et parle de peuple lointain. Comme souvent, la situation géopolitique de l’époque est abordée, on y parle des guerres d’Italie (cela nous rappelle Le Prince) et de la situation en Angleterre. Mais la partie la plus intéressante est la seconde, car il y décrit le fonctionnement de l’île d’Utopie.


Ce qui frappe dès le départ c’est que nous observons une sorte de société protocommuniste, Babeuf est encore loin, mais déjà More nous propose une société sans propriété privée. Les Utopiens se voient attitrer une maison pour une durée limitée, ils ne possèdent pas les champs qu’ils exploitent, car tout appartient à l’Etat. Ce même Etat qui distribue des terres aux villes. On ne reste pas paysans à vie, à moins de le vouloir, mais seulement 2 ans puis on retourne à la ville. La production est déterminée selon les nécessités de la consommation, et s’il y a de la surproduction on le met en réserve pour les pays voisins. Les Utopiens n’utilisent pas d’argent, comme chaque personne remplit son rôle dans la société et est utile, ils n’ont pas besoin de monnaie d’échange. Ils travaillent pour que la société et leur nation se pérennisent dans le temps même si leurs projets n’aboutissent que plusieurs siècles après. C’est une société qui a réussi à instituer une sorte de culte de l’Etat, n’allons pas trop loin à dire que c’est un préfascisme qu’il nous propose. Je constate juste que les Utopiens travaillent pour leur nation, leur communauté et demandent en échange à ce que leur voisin fasse de même.


On peut comprendre que certains communistes veulent reprendre l’Utopie comme un livre protocommuniste, on a sous les yeux une société qui fonctionne sans argent. Mais voilà si Thomas More renie l’argent et le luxe, abolie la propriété privée c’est parce qu’il est témoin des ravages et de l’abus de celle-ci. A son époque, en Angleterre, comme il est dit dans la première partie, les communautés paysannes qui utilisaient les espaces communs pour cultiver (un équivalent juridique de nos forêts domaniales qui appartiennent à tous les citoyens français) se voient déposséder pour permettre la création d’un système de propriété privée. Cette propriété privée ne servant plus à l’agriculture de subsistance, mais aux pâturages pour moutons et à la production de laine, très demandée à l’époque. Voilà un extrait sur l’argent qui est assez perturbant en sachant qu’il vient d’une personne du XVIe siècle :



 Considérez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employés
en choses vraiment nécessaires. Car, dans ce siècle d’argent, où
l’argent est le dieu et la mesure universelle, une foule d’arts vains
et frivoles s’exercent uniquement au service du luxe et du
dérèglement… 



More nous propose une République où le dirigeant est nommé par vote indirect. Chaque famille a un droit de vote pour élire leur représentant tous ces magistrats vont choisir parmi eux un Prince qui sera nommé à vie sauf en cas de tyrannie. On a donc un système de vote indirect, un peu à la manière dont nous élisons nos Sénateurs. Les décisions sont organisées dans un Sénat et il y a même des gardes fous censés éviter que les dirigeants conspirent contre le peuple et fassent acte de tyrannie. Il nous propose son gouvernement idéal qui à cette époque semble bien lointain (les guerres civiles anglaises se dérouleront au siècle suivant).


More imagine une société où les personnes ne travaille que 6 heures par jour, car travail n'a pas pour but de s'enrichir mais seulement d'être pérenne. Mais il y a aussi le fait que chaque métier est utile au sens où il n’existe pas de métier superflu que permet la division du travail porté à outrance. Par exemple la mode n’existe pas, car tout le monde porte peu ou prou la même chose sauf les clercs pendant la messe. Les articles de luxe n’existent pas, c’est une société utilitariste, chaque chose qui existe doit être utile. Un passage m’a d’ailleurs fait penser à un extrait d’un écrit de Saint Simon (le socialiste pas le mémorialiste), qui est un peu trop long pour que je le poste ici. Je vous conseille d'aller lire sa parabole mais avant cela lisez ce passage de l'Utopie :



Vous le comprendrez facilement, si vous réfléchissez au grand nombre de gens oisifs chez les autres nations. D’abord, presque toutes les femmes, qui composent la moitié de la population, et la plupart des hommes, là où les femmes travaillent. Ensuite cette foule immense de prêtres et de religieux fainéants. Ajoutez-y tous ces riches propriétaires qu’on appelle vulgairement nobles et seigneurs ; ajoutez-y encore leurs nuées de valets, autant de fripons en livrée ; et ce déluge de mendiants robustes et valides qui cachent leur paresse sous de feintes infirmités. Et, en somme, vous trouverez que le nombre de ceux qui, par leur travail, fournissent aux besoins du genre humain est bien moindre que vous ne l’imaginiez. 



Les Utopiens ont aussi conscience qu’ils sont les héritiers d’un patrimoine, ils en prennent soin, le patrimoine commun est entretenu de sorte qu’il traverse les âges. Et se sentant appartenir à une même nation, chaque cité aidera volontiers sa voisine si elle a des vivres en superflues, car « Toute l’île de la sorte forme une seule famille. »


Le livre fait aussi l'évocation d'esclaves qui sont soit des citoyens ayant commis des crimes graves soit des étrangers. Ces esclaves font toutes les basses besognes dont les travaux d’abattoirs et de boucherie.


Les Utopiens peuvent après leur journée de travail s’adonner à des loisirs et à des cours afin de se perfectionner. On retrouve là l’idée d’un corps sain dans un esprit sain.


En conclusion, c’est un livre appréciable grâce aux axes de réflexion qu’il apporte, pour un livre du XVIe siècle, mais cela reste simple. Communiste/marxiste passes ton chemin si tu penses lire un précurseur de ton idéologie. Il fustige un épiphénomène du Capitalisme et pas le Capitalisme en lui-même. Néanmoins la manière dont il décrit le fonctionnement sa société est intéressante, notamment le rapport à l’argent et aux possessions matériel.

Créée

le 15 juil. 2019

Critique lue 151 fois

1 j'aime

Franc_cot

Écrit par

Critique lue 151 fois

1

D'autres avis sur L'Utopie

L'Utopie
Franquito
10

Critique de L'Utopie par Franquito

Pur bijou de l'humanisme anglais, Utopia (néologisme grec forgé par l'auteur signifiant "qui-ne-se-trouve-nulle-part") symbolise la recherche d'une société idéale à la fois inspirée des philosophes...

le 8 août 2010

6 j'aime

L'Utopie
Ligeia
9

Premier traité d'architecture moderne

Ce qui est nouveau et frappant dans ce livre c'est la conception de l'urbanisme pensée par Thomas More.On y trouve le substrat de ce que Le Corbusier tentera d'appliquer plus tard dans ses projets...

le 23 mars 2011

5 j'aime

L'Utopie
ngc111
7

Critique de L'Utopie par ngc111

Avant d'arriver à la conclusion j'étais partis pour descendre un peu la note de L'Utopie de Thomas More ; la raison en est que j'avais l'impression que cette société utopique mise en avant par le...

le 30 sept. 2022

4 j'aime

Du même critique

Mes idées politiques
Franc_cot
8

Le nationaliste intégral

L’on retiendra de Charles Maurras plusieurs choses, sa force politique du nom de l’Action Française, la revue du même nom et sa doctrine, le nationalisme intégral. Personnellement ce que je vois dans...

le 23 avr. 2020

8 j'aime

5

Traité sur la tolérance
Franc_cot
5

Tolerantia ou la capacité à supporter

Ce texte a été écrit à la suite de l’affaire Jean Calas, il s’inscrit dons dans un contexte de tension religieuse entre catholiques et protestants. Le livre était présenté comme « Dénonciation du...

le 7 août 2019

8 j'aime

2

Ravage
Franc_cot
7

La France contre les Robots

René Barjavel est un auteur français intéressant. À l’époque où l’on ne parlait pas encore de science-fiction en France, lui écrivait ce roman dystopique. Je vais éviter de vous révéler les rouages...

le 8 déc. 2020

6 j'aime