Il est étonnant combien nous sommes profondément influencés par les œuvres d'art importantes. Cette lecture de "Animal Factory" (ignorons le titre français stupide et restituons au beau livre d'Edward Bunker son titre original inspiré !) a eu lieu pour moi sous les auspices des images de la magnifique série carcérale "Oz" (dont le propos est très similaire, soit la dégradation inexorable que la prison inflige à ses "victimes", innocents comme coupables, brutes épaisses comme êtres raffinés) et de la musique de Johnny Cash ("Live at St Quentin" et "Live at Folsom", bien évidemment). Donc je ne sais pas si j'ai aimé ce livre en tant que tel (j'exagère, je sais que je l'ai aimé...) ou si j'ai réussi à pénétrer plus profondément dans la compréhension effrayante de l'horreur carcérale grâce à la conjonction des mots d'Edward Bunker, des images de "Oz" et des chansons de l'Homme en Noir ? Peu fictionnel, "Animal Factory", construit - si je l'ai bien compris - sur l'expérience personnelle de Bunker, est néanmoins passionnant, parce qu'il sonne juste, parce qu'il est profondément désespérant sans jamais avoir recours aux artifices habituels qui permettent l'identification du lecteur aux "héros", et parce que, lorsque dans la dernière partie, un certain suspense apparaît (l'assassinat d'un détenu dangereux, la tentative d'évasion), nous le vivrons avec un fatalisme désabusé qui reflète celui de Earl, très beau personnage principal que nous avons appris à respecter et aimer. Bref, en dépit d'une traduction française très perfectible, voici un livre marquant, et différent.