Je te tue, tu me tues....
Il y a des romans aux univers sombres, mais dont l'esthétique peut rendre le message plus acceptable. "La bête humaine" n'est pas de ce tonneau : c'est un roman où tous les personnages, sans exception, ont des motivations détestables, et dont le style réaliste fait un gros doigt d'honneur au lecteur en lui disant à chaque page : Hé oui, c'est pas beau, c'est pas lyrique, mais la vraie vie, c'est ça !
Je n'ai lu que deux Zola pour l'instant, et j'ai plutôt aimé, même si son style littéraire m'a toujours semblé inférieur à celui d'un Balzac. Zola cache-t-il son absence de génie littéraire derrière sa théorie réaliste ? Vaste débat. Je crois qu'il y a un peu de oui.
On retrouve donc le petit frère Lantier, Jacques, mécanicien sur la compagnie de l'Ouest (Paris-Rouen, mais l'essentiel du roman se passe sur la ligne de Normandie). Jacques, en congé, est témoin fugitif d'un meurtre dans le compartiment d'un express qui passait. C'est le sous-chef de gare, Roubaud qui, apprenant que sa femme Séverine avait couché à 14 ans avec le président de la compagnie, Grandmorin, force sa femme à l'aider à assassiner ce vieux pédophile. Lantier les reconnaît au procès, et une amitié délétère se développe entre eux. Jacques en vient à coucher avec Séverine, se débarrassant de pulsions homicides qu'il avait auparavant sur les femmes. Roubaud entame une déchéance totale (il joue, se fout d'être cocufié...). Pendant un hiver, la Lison, la locomotive de Jacques, est immobilisé à la Croix-de-Maufras, non loin de Barentin. Flore, une jeune fille amoureuse de Jacques, qui y habite, comprend que ce dernier avait Séverine pour maîtresse, déclenche un accident de train monstrueux. Au passage suivant, elle crée un accident ferroviaire monstrueux, puis, de remords, se suicide dans un tunnel. Entretemps, Séverine a tenté de pousser Jacques à tuer Roubaud, mais ce dernier n'y arrive pas. Il tue plutôt Séverine, et Roubaud finit par être accusé. Sur une dernière histoire de jalousie amoureuse, Jacques se bat avec son mécanicien, Pecqueux, et tous deux meurent en tombant de la locomotive. L'histoire se clôt sur une locomotive folle bourrée de soldats allant vers Sedan, sans pilote.
Dans "Germinal", il y avait tout de même une chaleur propre à la famille, à l'amitié. Ici, on n'a que des individualités isolées, qui ne font que s'illusionner les unes sur les autres. L'intrigue secondaire que Zola introduit est une histoire d'empoisonnement sordide et inutilement crapuleuse. Je comprends que ce livre ait horrifié les bourgeois de l'époque.
Ce n'est pas une totale réussite, car si le vocabulaire du rail est bien présent, le motif de la relation entre Jacques et sa locomotive, la Lison, passe vite au second plan, derrière cette sombre histoire d'assassin inhumain. Aucun personnage ne fait preuve de compassion pour les autres, et de ce point de vue, Zola va si loin que son lecteur ne ressent pas grand-chose pour ces personnages qui se livrent à un jeu de massacre. Untel veut tuer une telle, etc... Les allusions à la fin proche du Second Empire sont plus intéressantes, mais peu développées par rapport au reste. Zola est doué pour décrire de grandes machines à l'oeuvre, mais beaucoup plus conventionnel quand il s'essaie à la peinture de paysages. Quant à l'exposition, elle a un côté trop systématique. Pour présenter un personnage, Zola nous déroule systématiquement une sorte de fiche, avec son pédigree familial et professionnel, mais fort peu sur des choses vécues, une quelconque détermination psychologique qui donnerait au personnage sa cohérence.
Je vais essayer de ramasser toutes ces critiques en une seule phrase : Pour la noirceur, Zola peut faire concurrence à Simenon, mais pour le style, il n'y a pas photo.