Le message spécifique du christianisme ?
Y a-t-il quoi que ce soit d'intelligent à dire sur la Bible dans une critique si courte... je vais essayer de donner quelques pointeurs.
D'abord je précise que je suis athée, et que les éléments qui suivent doivent être pris comme de la science de la religion, et non comme une souscription aux thèses chrétiennes.
Gauchet a dit que le christianisme (à ne pas confondre avec l'église catholique, on parle ici du texte et non de l'institution) était la religion de la sortie de la religion. Ce serait une religion qui par sa logique même mènerait à sortir de la religion, et donc conduirait à la modernité.
Ce que Gauchet exprime dans cette idée c'est qu'il y a une spécificité au christianisme, qui doit être prise au sérieux pour comprendre l'impact qu'il a sur la culture, même la culture moderne.
Cette spécificité est celle du pardon et du refus de la victime émissaire. Le message chrétien délivré par le christ est celui de l'absurdité des culture sacrificielles, qui sont la norme avant le christianisme. C'est-à-dire que toute culture traditionnelle confrontée à un niveau de tension interne trop élevé utilise le mécanisme du bouc émissaire et du sacrifice de celui-ci pour faire retomber la pression. Le christianisme refuse cela.
L'épisode le plus évident de ce message est la Passion, où le Christ est forcé de porter sa croix et ensuite crucifié sur elle. Durant la passion, il est abandonné de tous, Même par Dieu. Il dira sur la croix "père, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Il faut lire la situation du Christ comme celle d'un bouc émissaire ultime, ce qui a pour effet de rendre visible aux yeux de tous qu'il n'est précisément que cela : un bouc émissaire qui ne peut pas être responsable de ce dont on l'accuse, à savoir de perturber toute la société.
Le mécanisme sacrificiel, qui désigne un bouc émissaire à tuer, ne peut fonctionner que si l'unanimité est faire sur sa culpabilité. Tout le monde doit être convaincu qu'il est coupable et qu'il apporte le mal dans le groupe, pour que son sacrifice serve d'expulsion de cette violence. La Passion du Christ est le moment qui dénonce ce mécanisme en révélant son absurdité : ce qui est infligé au Christ est tellement absolu que ça ne peut pas être juste. C'est pourquoi la crucifixion est le moment de la "chute du Temple" de la religion juive sacrificielle.
La Bible enseigne ensuite la façon que la culture a de pouvoir surmonter ce stade. Le problème étant que si on enlève le sacrifice à la culture comme façon de réguler la violence, et bien la violence va monter ! Que faire ? Le message chrétien, fondamentalement, repose sur le Pardon. Le Pardon c'est littéralement "aller Par-delà le Don", c'est-à-dire sortir d'une logique économique des relations.
La violence repose sur la convergence des désirs : si je désire la même chose que quelqu'un d'autre et que personne n'est prêt à céder cette chose, nous sommes en rivalité. C'est une relation économique, un échange symétrique qui a pour issue la violence (l'un doit l'emporter sur l'autre). Par contre le Pardon casse directement cette situation de rivalité, de symétrie : il s'agit de laisser l'objet du conflit à l'autre. Ce faisant, on est déposséder de cet objet, mais on instaure une paix sociale dont tout le monde tire avantage. C'est la signification de maximes comme "si on te gifle sur la joue droite, tend la joue gauche", ou "si on veut te prendre ton vêtement, donne-le de bon coeur".
La Bible délivre un message qui est une science de la violence. Elle propose des modèles de comportement qui visent à briser la symétrie et la réciprocité violente des rivalités. C'est en tout cas sa spécificité philosophique quand on la compare aux autres monothéismes, même si toutes les religions traitent de la violence et du sacrifice.