La Brève et Merveilleuse Vie d'Oscar Wao par VilCoyote
Ça partait moyennement sur les 40 premières pages. Oscar est un loser qui semble vraiment manquer de tripes, cerné par un entourage cassant voire odieux qui n'attire pas plus de sympathie immédiate.
La faute à la traduction sans doute, le style parlé oscille alors entre vrai sens de la formule et argot raté sorti d'une mauvaise imitation de banlieusard. Le tout dans une ville sinistre du New Jersey, avec des références fréquentes à la SF et à la fantasy, moi qui n'ai jamais été branché jeux de rôles et histoires de nains et d'elfes à la Tolkien.
Bon.
Et puis miracle, le récit bifurque vers d'autres membres de la famille, fait des allers-retours entre les décennies, s'envole aussi vers la République Dominicaine... et le niveau du livre avec lui.
Chaque personnage prend peu à peu de l'épaisseur, notamment par le biais du regard bienveillant de La Inca, l'abuela de la famille, sur les siens. On dépasse les archétypes du geek, de la mère hystérique, de la soeur rebelle ou du pote queutard pour découvrir l'histoire et les fêlures de chacun, leur complexité, leur façon propre de parler ou de réagir aux évènements.
Le style décapant du narrateur prend alors tout son intérêt, en devenant le piment qui relève le tout et non un simple artifice masquant un récit creux. Le lecteur est très souvent pris à témoin, les vannes fusent, les réflexions sur les travers des uns et des autres font mouche.
Et puis cette histoire, c'est aussi celle de la République Dominicaine, notamment des 31 ans passés sous le règne sanglant et mégalo de Rafael Trujillo. Fidèle à son style, Diaz n'aborde jamais la dictature avec le ton froid et clinique d'un documentaire. Il préfère passer au mixer petite et grande histoire, personnages fictifs et réels, exactions et meurtres avec drague et tchatche du quotidien. Finalement la meilleure façon de cerner cette île de fous, dans le bon et le mauvais sens du terme.
Un roman sombre donc, mais dont l'ironie constante et l'humour empêchent de glisser dans le pathos larmoyant.