Certaines personnes connaissent une existence que l'on croirait échappée des pages d'un roman. Je vous ai causé de Maxime Lisbonne dont Didier Daeninckx a tenté de restituer la vie turbulente. Un échec patent doublé d'un assoupissement irrésistible. Il n'en est pas de même avec Elsa Osorio.
Micaela Feldman de Etchebéhère appartient à cette catégorie de personnage dont on peut affirmer sans crainte d'être contredit que l'existence bigger than life pourrait fournir l'intrigue à un roman d'aventures. Mais voilà, la dame a réellement vécu. Et d'ailleurs, en lisant le livre de Elsa Osorio, je me suis rappelé avoir lu les mémoires de Mika (Ma guerre d'Espagne à moi, disponible dans l'excellente collection « Révolutions » chez Babel), notamment les souvenirs de son combat durant la guerre d'Espagne, me disant qu'un tel personnage mériterait bien un roman. Le destin taquin adresse parfois ainsi des clins d'œil à la mémoire faillible.
Militante communiste et féministe, ses voyages ont mené Mika d'Argentine en France, en passant par l'Allemagne lors de la montée du nazisme, et jusque pendant la guerre d'Espagne, sur le front, en compagnie des colonnes de miliciens. Une expérience faisant d'elle un témoin précieux de ces événements.
La Capitana nous raconte tout cela. Mais si le roman de Elsa Osorio s'avère documenté, la fiction et la littérature ne cèdent en rien à la réalité et à l'Histoire. Dans une longue postface, l'auteur argentin s'explique sur ses choix. Elle relate la longue et douloureuse gestation de ce roman. Des années de procrastination, de recherche de témoignages et de vérification des sources. Tout cela pour aboutir finalement à un livre émouvant, suscitant l'empathie pour Mika sans affaiblir la sincérité et la pureté de son combat.
Elsa Osorio restitue le destin d'une femme et non d'une figure héroïque. Une femme devenue tout à la fois pour sa colonne : capitaine, mère, épouse, confidente. Une militante convaincue mais loin d'être naïve.
Par son truchement, on assiste à l'échec de l'idéal communisme, miné par les querelles d'appareil, les égoïsmes et les jalousies. On se trouve aux premières loges des purges staliniennes. Face à un ennemi déterminé, le mouvement communiste expose ses faiblesses comme des plaies à l'âme.
Entre les années 1920 et 1990, on accompagne ainsi Mika dans sa traversée du siècle, partageant son intimité, ses peurs, son angoisse et son amour indéfectible pour son compagnon, amant et époux Hippolyte Etchebéhère. Et même si l'on sait déjà que la contre-révolution a gagné, on n'en admire pas moins ce destin accompli jusqu'au bout, avec générosité et une bonne dose de lucidité sur la nature humaine.
Bref, avec La Capitana, Elsa Osorio s'acquitte avec talent de notre dette envers la mémoire des vaincus.
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