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Il est a noter que j'ai la deuxieme edition critique et traduction de l'ancien francais (principalement a partir du manuscrit d'Oxford) de Ian Short (IS) issu de la collection des Lettres Gothiques dirigee par Michel Zink en Livre de Poche (Librairie Generale de France). Je ne suis absolument pas en mesure de dire si il s'agit d'une ''bonne'' ou ''mauvaise'' retranscription de la chanson.
Si je devais synthetiser en quelques phrases, je dirais que j'encourage la lecture a quiconque souhaite se plonger dans la beaute poetique (parfois tres violente, dans tous les sens du terme) de la chanson de geste et qui souhaite apprecier le decalage moral et mental qui existe entre l'aristocratie militaire des XIe et XIIe siecles (c'est a dire au moment de la redaction des manuscrits de la chanson) et le consommateur tertiarise contemporain evoluant dans un monde d'abondance energetique lui autorisant un confort materiel inimaginable a l'echelle de l'histoire humaine. Pour ne citer que ce qui saute le plus aux yeux, l'apologie du patriarcat (la quasi integralite des protagonistes sont des hommes de pouvoir temporel et/ou spirituel) est a mettre en parallele avec la mise en avant exclusive des figures symboliques de guerriers et de pretres et l'effacement total de la figure du marchand/negociant (parallele qu'on retrouve dans la litterature hellenistique ou hebraique anterieure voire meme indienne ou japonnaise -Bushido- contemporaine a la Chanson de Roland). De ce fait, aposer une grille morale contemporaine au recit ne me semble pas avoir beaucoup de sens.
Une fois cela dit, la reputation de premier grand texte litteraire francais repetee systematiquement ne me parait pas galvaudee. C'est la premiere fois que je suis confronte a la chanson de geste (a fortiori militaire). Ce style medieval, a la fois litteraire et chante est plutot perturbant pour un lecteur contemporain comme le rappelle IS et rien que la tentative de recontextualisation de la transmission du recit epique necessite une gymnastique mentale (je renvoie aux p. 14-15 de l'excellente introduction). Personnellement cet effort de recontextualisation n'a ete que benefique.
Au dela de la forme tout a fait particuliere du recit, IS rappelle fort justement que ``[c]elles et ceux qui allient le souci de la methodologie a la soif d'interpretation s'amuseront peut etre a emboiter le pas aux exegetes [interpretes] medievaux eux-memes, et a suivre leur systeme hermeneutique a trois niveaux : per litteram (sens litteral), per sensum (sens abstrait), per sententiam (sens allegorico-moral)'' (p. 18). Ainsi a ma premiere lecture (et grace aux annotation d'IS) j'ai pu discerner des sens differents par exemple quand au comportement de Roland : au sens litteral il est legitime de se poser la question du jusqu'au-boutisme, de se prendre de compassion pour Olivier et de critiquer la posture de perdant magnifique comme strategie militaire au mieux douteuse ; au sens abstrait, ce n'est pas vraiment la question puisqu'il s'agit plutot d'admirer la soliditie des valeurs chevaleresques de courage, d'honneur, de foi, de piete face aux epreuves de la perfidie, de la trahison, du combat et de la mort ; au sens allegorico-moral enfin il s'agit de mediter sur la necessite d'un catholicisme alors conquerant d'etendre sa banniere et de guerroyer en terre paienne (en l'occurence, terre d'islam) et sur la finalite d'une bonne vie chretienne pour l'aristocratie militaire et le clerge (qui rappelons le, contrairement a la bourgeoisie moderne et contemporaine prenaient directement les risques associes a leur prestige et a leur rang, du moins pour la Noblesse d'epee et le bas et moyen Clerge). Bien sur cette premiere lecture est tout a fait insuffisante pour saisir l'entiere dimension de la chanson ; apres tout la relecture meditative a une epoque ou l'imprimerie n'existe pas est un exercice obligatoire pour tout lettre du Moyen Age.