La Chute est la borne sombre et pessimiste de l’œuvre de Camus. L’autre borne, représentant le côté clair, enjoué et heureux, pourrait être ses essais Les Noces et L’Été. La Chute est la confession, étalée sur 5 jours, d’un homme à un compatriote rencontré dans un bar d'Amsterdam. Une confession à sens unique, piégeant le lecteur qui se retrouve suspendu aux lèvres de cet individu, et dont le vernis de la culpabilité s’écaillant, laisse place à une conscience presque inhumaine tant elle rassemble nos défauts.
Il aura fallu une chute, celle d’une inconnue dans l’eau froide et tumultueuse de la Seine, pour entraîner celle de Jean-Baptiste Clamence, jeune avocat parisien à qui tout semble réussir. Rongé par une culpabilité insoutenable, prenant conscience de son égoïsme et de sa frivolité, le héros-narrateur décide de tout quitter.
Après avoir endossé l’habit de pape dans un camp de prisonnier à Tripoli, il se place à Amsterdam, cette ville qui a tout de l’enfer d’après ses dires, comme prophète. Son nom est d’ailleurs révélateur, Jean-Baptiste Clamence faisant référence au prophète Jean le Baptiste clamans in deserto (« prêchant dans le désert »). Se définissant comme « juge-pénitent », Clamence estime qu’en étant lucide sur sa condition, on est mesure de juger autrui. Il devient alors miroir, appelant son interlocuteur à effectuer sa propre introspection.
Camus, dont le style littéraire ne manque pas de superbe, livre ici un unique monologue au rythme endiablé. Le lecteur se retrouve, comme le second personnage du livre qui ne s’exprimera jamais, dans l’incapacité à se détacher de ce personnage envoutant, ce Clamence qui ne cherche aucunement le pardon et la rédemption. Une peinture sombre de l’humain et un examen de conscience dont Camus a le secret.
Nous vivons avec des idées qui, si nous les éprouvions vraiment, devraient bouleverser toute notre vie.