Des scientifiques assurent que le poisson rouge, celui de l’aquarium, ne disposerait que de huit secondes de mémoire. Pour lui, le monde serait perpétuellement neuf, étrange fatalité. Des chercheurs américains auraient démontré que les milléniums, les fameux digital natives, ne disposeraient que de neuf secondes de concentration avant de décrocher.
Ces neuf secondes représentent un formidable défi pour Google ou Facebook : que faire pour capter leurs regards ? Avouons qu’ils ont réussi, nos smartphones nous ont envoutés. Le phubbing désigne leur consultation ostensible, alors même que l’on nous adresse la parole ; tellement grande est notre terreur de rater une alerte de la petite machine…
Directeur éditorial d’Arte et ancien responsable de la stratégie numérique de médias, Bruno Patino développe les conséquences de nos addictions aux écrans. La génération, souvent libertarienne, des créateurs du Web avait cru que l’accroissement illimité des connaissances accoucherait d’un monde meilleur. Les plus mystiques y ont vu l’apparition de la fameuse noosphère de Teilhard de Chardin. Entretemps, les ingénieurs de Google ont découvert que l’on pouvait lier les résultats d’un moteur de recherche à de la publicité, que cela rapportait beaucoup d’agent, des montagnes de dollars. Ainsi est née l’économie de l’attention. Les réseaux sociaux vendent du temps de cerveau. Ils ont donc développé des stratégies addictive, telles que le schéma de la récompense aléatoire, privilégiant l’émotion, dans les fils d’actualité. Ils ont confié aux neurosciences et à la captologie (la science de la captation de l’attention) le design de leurs plates-formes. « La dépendance n’est pas un effet indésirable de nos usages connectés, elle est l’effet recherché par de nombreuses interfaces et services qui structurent notre consommation numérique. »
En 2018, un Américain consacre 7 h par jour à dormir, 6 h 55 à s’alimenter et à sa vie sociale, 5 h 13 à son travail et 12 h 04 à ses écrans, soit un total de 30 heures ! Il vit avec son écran, zappe en permanence. Notre vie culturelle et intellectuelle est devenue stroboscopique.
L’économie de l’attention nous isole et nous enferme dans une bulle qui colle à nos attentes, nos lubies, voire à nos phobies, nous éloignant toujours plus de la réalité : « sur les réseaux il y a autant de contextes que d’utilisateurs. Les réseaux sociaux proposent une timeline, un newsfeed, un environnement graphique structuré par les algorithmes nourris des données comportementales et identitaires. À chacun sa version de Facebook, de Twitter, de Youtube. Il n’en existe pas deux comparables. » Il y autant de réalités, et donc de vérités, que d’utilisateurs.
Dans ce monde orwellien, les médias classiques ont perdu toute crédibilité. Pis, avides de dollars, les plateformes poussent les informations clivantes, celles qui génèrent de l’attention, des réactions et donc de la viralité. Par leur nature, elles favorisent les plus déterminés, les plus actifs, Internet « est une démocratie où certains votent une fois et d’autre mille. »