Un voyageur débarque dans une île tropicale pour étudier le système judiciaire d'un bagne. Mais ne se trouve-t-il pas en porte à faux, confronté à des pouvoirs rivaux ? L'officier responsable concentre les fonctions de policier, de juge et de bourreau. Tous deux se retrouvent avec un garde tenant les chaînes d'un prisonnier devant une machine : une exécution va avoir lieu. L'officier explique au visiteur que le détenu coupable d'indiscipline ignore la cause de son arrestation, sa situation de condamné et la peine qu'il doit subir. Il n'y a dans l'île ni instruction, ni procès, ni jugement.


L'officier n'accepte qu'une sentence : la peine de mort. Il s'acquitte de sa charge de bourreau avec une irréprochable conscience professionnelle. La machine est l'invention de l'ancien commandant, créateur du bagne. Mais comment faire fonctionner l'appareil quand le nouveau commandant rechigne à fournir les pièces détachées indispensables ? Et l'officier est persuadé que cette mission d'observation fait partie des manœuvres dirigées contre lui...


Le voyageur déteste jouer le rôle d'un pion sur l'échiquier opposant l'officier et le nouveau commandement. Comment rester neutre en étant jeté en plein champ de bataille ? La procédure est franchement inique et expéditive. Quant à l'exécution... Le condamné est attaché sur un lit. Le commandement qu'il a violé est programmé dans une traceuse, puis une herse le grave lentement dans son corps à coups d'aiguilles. Le supplice s'éternise de longues heures. Enfin le corps est percé de part en part et jeté dans une fosse.


L'officier résiste au nouveau commandant qui veut introduire un recours après une condamnation. Le voyageur espère dans le nouveau commandant : "Est-ce qu'il assistera à l'exécution ?" Cela froisse l'officier qui tente de le convaincre, multiplie les explications passionnées... Fanatique de l'ancien commandant, il prêche une mystique des organes de sécurité et l'exécution des condamnés selon les bonnes vieilles méthodes. Quand le commandement sans commandant ne parvient plus à faire vivre, la loi se résume au pouvoir de tuer.


Kafka ne délivre pas dans "La Colonie pénitentiaire" un message univoque. Nombre de ses hantises s'y entrecroisent : la nécessité d'une Loi, même incompréhensible, indéchiffrable, aux sentences sans appel. L'angoisse, le désespoir et la mort. L'horreur de la chair. La solitude morale face à des choix qui n'en sont pas. Kafka crée une situation conflictuelle et une atmosphère étrange qui nous obligent à nous poser des questions essentielles sur nos vies.


Le voyageur va-t-il se détourner de la Loi de l'ancien commandant aux coutumes barbares ? Va-t-il opter pour la Loi du nouveau commandement, moins inhumaine ? Celle-ci n'est-elle pas un leurre, une réforme grosse de futures déceptions ? Le prisonnier est-il exécuté ? Pourquoi l'inconscience du condamné est-elle nécessaire à la bonne conscience du bourreau ? Pourquoi la logique d'une mystique de la répression exige-t-elle que le bourreau devienne victime quand les nouveaux maîtres le décident ?

lionelbonhouvrier
9

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes RéCitS & NoUvElles et FrAnZ KafKa ou la Plaie ViVe

Créée

le 14 mai 2020

Critique lue 488 fois

5 j'aime

7 commentaires

Critique lue 488 fois

5
7

D'autres avis sur La Colonie pénitentiaire

La Colonie pénitentiaire
Sivoj
7

Incongruité, menace et surprise

Je n'ai pas trop su quoi en penser. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'une satire contre la peine de mort, l'officier exultant pour sa machine à torture ; puis d'une satire des moralisateurs...

le 25 févr. 2017

5 j'aime

2

La Colonie pénitentiaire
lionelbonhouvrier
9

Au nom de la Loi, mais Laquelle ?

Un voyageur débarque dans une île tropicale pour étudier le système judiciaire d'un bagne. Mais ne se trouve-t-il pas en porte à faux, confronté à des pouvoirs rivaux ? L'officier responsable...

le 14 mai 2020

5 j'aime

7

La Colonie pénitentiaire
Anne-Claire-Onillon
9

Une nouvelle magnifique

Probablement le plus petit livre de kafka, raison pour laquelle, sans doute, je suis entrée dans cet auteur par cette nouvelle. Il y a peu de littérature qui nous convoque de cette façon, qui nous...

le 12 août 2023

1 j'aime

Du même critique

Pensées
lionelbonhouvrier
10

En une langue limpide, un esprit tourmenté pousse Dieu et l'homme dans leurs retranchements

Lire BLAISE PASCAL, c'est goûter une pensée fulgurante, une pureté de langue, l'incandescence d'un style. La langue française, menée à des hauteurs incomparables, devient jouissive. "Quand on voit le...

le 10 nov. 2014

30 j'aime

3

Le Cantique des Cantiques
lionelbonhouvrier
9

Quand l'amour enchante le monde (IVe siècle av. J.-C. ?)

Sur ma couche, pendant la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime ; je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé. Levons-nous, me suis-je dit, parcourons la ville ; les rues et les places, cherchons...

le 9 nov. 2014

23 j'aime

7

Les Communiants
lionelbonhouvrier
9

Le silence de Dieu

Pour qui n'est pas allergique aux questions religieuses et métaphysiques, "Lumière d'hiver" (titre français "Les Communiants") est passionnant. Bergman règle ses comptes avec son père, pasteur...

le 11 janv. 2019

20 j'aime

3