Si le grand public connaît de Balzac sa peinture réaliste des passions humaines, il passe souvent sous silence un ses récits consacrés au fantastique et à l’étrange. Non seulement par méconnaissance de l’œuvre, mais aussi par un rejet viscéral du fantastique, genre incompris et vilipendé. Avec ce volume uniquement consacré aux romans et nouvelles fantastiques de l’auteur, Omnibus tente de redonner ses lettres de noblesse à des textes oubliés. Car à part La Peau de chagrin dont beaucoup ignorent volontairement l’inscription fantastique ou Louis Lambert et Le Cousin Pons (absents de ce volume, mais dont les intrigues plongent dans l’occultisme), la plupart des autres textes rassemblés ici sont ignoré par la critique non spécialisée. Et pourtant, nombre de nouvelles auraient besoin de s’ouvrir au lecteur afin de leur offrir tout ce qu’elles contiennent de prenant, d’inquiétant, de magique et de juste.
Pour que le fantastique fonctionne, le récit doit s’appuyer sur une trame réaliste, mettre en place un univers qui ressemble au nôtre afin que le lecteur puisse s’identifier aux personnages avant qu’un élément surnaturel vienne déranger le bon ordonnancement de l’ensemble. C’est le phénomène d’« irruption insolite presque insupportable dans le monde réel » dont parle Roger Caillois. Le réalisme balzacien sert parfaitement cette mise en place avant la rupture. Dans « Histoire véritable de la bossue courageuse », l’âme campagnarde imprègne d’une atmosphère épaisse toute la trame de ce conte, entraînant le lecteur dans un monde au bord de la déchirure. Dans le même ordre d’idée, « Jésus-Christ en Flandre » nous conduit dans un voyage étrange au cœur d’un pays parfaitement décrit. Ces deux mises en place du réel vont permettre au fantastique de faire une entrée remarquée. Dans La Peau de Chagrin, la date et le lieu sont précisément indiqués dès l’incipit afin de placer le lecteur en terrain balisé. La rupture n’en sera que plus surprenante.
Le fantastique balzacien joue souvent sur l’irruption d’un merveilleux religieux ou ésotérique. Dans « Jésus-Christ en Flandre », une barque chavire, mais les occupants qui ont la foi peuvent marcher sur les eaux. Dans « Melmoth réconcilié », c’est le thème du pacte satanique qui fait aussi une apparition dans « Le Pacte » tandis que l’image du diable s’invite dans « La Comédie du diable » ou « Le Musicien ambassadeur de l’enfer ». Nourri aux théories de Swedenborg comme Poe, Balzac semble attester de l’existence de certains pouvoirs ou de possibles relations avec les morts comme dans Louis Lambert ou « Séraphîta ». Il joue aussi avec des images de débauche souvent liées à au thème de la vie éternelle et au motif de la jeunesse éternelle. Dans La Peau de chagrin, un homme peut faire autant de vœux qu’il le souhaite jusqu’à disparition d’une peau qui se réduit à chaque excès. Dans « L’Elixir de longue vie », c’est Don Juan qui attend l’héritage d’un mourant est convié à lui badigeonner le corps pour lui redonner vie. Il ne le fait qu’avec la paupière droite.
Dans cette Comédie des Ténèbres, l’œuvre de Balzac apparaît sous un jour sombre, qui flirte parfois avec l’horreur la plus noire, se nourrissant des images du romantisme noir (ou du roman gothique) pour mieux nous offrir sa vision d’un monde où le réaliste sert de façade à quelque chose de plus profond, de plus inquiétant, près à surgir au moindre plissement de la trame du monde.