La Compagnie noire par Kiichigo
Les annales de la Compagnie Noire sont composées de treize tomes. Elles retracent la vie de cette bande de mercenaires qu'est La Compagnie Noire, à partir du moment où elle se fait employer par Volesprit, un des hommes de main de la Dame Blanche, impératrice bâtissant un empire dans les pays du Nord tout en combattant la rébellion montée par ses opposants. Voici le pitch de base. Et pour éviter de spoiler les personnes n'ayant pas encore lu l'intégralité du cycle (ce qui m'arrive trop souvent quand je fais des critiques), j'ai décidé de faire une critique générale des Annales sur ce premier tome, et de faire ensuite des critiques de chaque cycle sur les fiches concernées, ce qui devrait me permettre de rester assez général ici.
L'histoire proposée par la Compagnie Noire est captivante et présente des personnages plutôt introvertis, extrêmement intéressants et attachants au plus haut point, malgré le fait que, pour la plupart, ils sont loin d'être des bonhommes gentils et mignons. La Compagnie est bien plus qu'une bande de mercenaires, c'est avant tout un ensemble de frères soudés les uns aux autres. Et au final, en l'espace du premier tome seulement, c'est comme si nous étions nous aussi membres de la Compagnie, à jouer avec eux au tonk, à guerroyer, à se serrer les coudes, tout en s'interrogeant sur le sens moral de notre action. Car bien qu'un mercenaire ne sois pas sensé réfléchir en ces termes, comme le souligne régulièrement Toubib, annaliste de ce premier tome, la question semble se poser pour une fois, la Dame ressemblant bel et bien à un tyran sans limite sur de nombreux points. Et c'est ce qui fait la grande force de cette histoire : les personnages principaux ne sont pas des héros et n'ont pas pour objectif de sauver l'humanité d'une quelconque façon, mais plutôt de survivre en s'offrant au plus offrant pour fuir un passé qui les a poussé à tout quitter pour rejoindre les rangs de la Compagnie.
L'ambiance des annales est superbement construite et l'auteur sait insuffler de la force et un véritable charisme à ses personnages, ainsi qu'une personnalité et un caractère propre à chacun d'eux, qui évoluent avec le temps, ce qui les rend d'autant plus intéressant à suivre. L'intrigue se développe au fur et à mesure des tomes et va bien plus loin que ce qu'annonçait le résumé du premier tome, dans des directions que l'on ne pouvait prévoir au départ. L'histoire est captivante, d'autant plus que les combats menés par la Compagnie et ses stratégies d'attaque et de défense sont très bien décrits, rendant chaque moment de la lecture passionnant. On ne s'ennuie jamais, on reste en permanence sur le qui-vive, avec eux, à tenter de monter une stratégie, deviner celle de l'adversaire, sans qu'il n'y ai jamais de redite. Au contraire, la Compagnie découvre et affronte de nouvelles situations exigeant d'elle une adaptation et une inventivité permanente pour survivre et accomplir sa mission. Cette absence de redite s'applique à tout ce qui touche cette œuvre, et notamment l'univers, qui se développe avec chaque tome, pour nous dépayser et nous plonger dans des ambiances différentes : rien que sur les trois premiers tomes, de nombreux éléments apparaissent à chaque fois, nous mettant toujours en situation de découverte face à cet univers qui s'épaissit en même temps que l'intrigue. L'auteur arrive même à faire passer ce que je considère comme un des pires défauts dans une histoire, car ressemblant fortement à une facilité scénaristique (=SPOIL : ressusciter les personnages à tour de bras/SPOIL), comme quelque chose de construit et de valable dans son œuvre.
Le tout prend place dans un monde où la magie est présente, mais restreinte à ceux qui savent la maîtriser (une minorité de la population, principalement les leaders des deux mouvements s'opposant : Dame Blanche et ses Asservis contre Rebelles, pour ce premier tome) et nous reste relativement mystérieuse. En effet, à l'inverse d'auteurs de certaines séries de fantasy ou de fantastique qui nous expliquent le fonctionnement de la magie qu'ils proposent dans leurs univers, Glen Cook fait le choix de ne nous expliquer que ce que comprend son narrateur, c'est-à-dire presque rien, ne nous offrant donc pas plus de compréhension que lui et nous plaçant nous aussi dans une position de néophyte. Nous voyons donc la magie à l’œuvre, mais sans la comprendre, sans savoir réellement comment elle fonctionne, ce qui donne une impression assez étrange : on n'en a que l'effet visuel, souvent décrit de façon assez étrange (des "serpentins de couleur", par exemple), et le fait de ne pas saisir son fonctionnement la rend encore plus...magique ;)
L'histoire est servie par une narration vraiment bonne. Au tout début, j'ai vraiment eu des difficultés sur le premier tome, car on se retrouve plongé dans l'histoire avec Toubib, en pleine action, mais à aucun moment il ne prend la peine de situer certaines choses, et je suis restée perdue un bon moment. Il écrit dans les annales en considérant que le lecteur fait partie de la Compagnie et a lu les précédentes, et ne se sent pas dans l'obligation de contextualiser ses propos, de préciser certaines choses, etc. et le nombre de personnages fait que l'on s'y perd facilement, car à notre propre manque de connaissance s'ajoute en plus celui de Toubib, qui parfois ne peut simplement pas expliquer les actions dont il n'a pas les explications lui-même. En gros, au début, j'ai bien galéré à m'approprier ce livre et à m'adapter au style. Et puis, au fur et à mesure des pages, le style se délie, on s'habitue (au non-dit, à l'imprécision), on grappille des bouts d'infos pour compléter le tableau, et tout va beaucoup mieux. Par ailleurs, Glen Cook enrichit sa narration à chaque tome, ajoutant de nouveaux éléments, la complexifiant, par l'ajout de point de vue extérieur sur certains personnages, de narrations se situant à différentes temporalités...
La richesse des annales du point de vue de l'écriture tient également du fait que les treize tomes ne sont pas écrits par le même annaliste. Plusieurs annalistes vont se suivre, permettant, en plus d'observer l'évolution de la Compagnie et des personnages, d'observer les différences de perception de ces annalistes sur une même personne ou une même situation (rétrospectivement), mais également d'apprendre à connaître les annalistes de deux points de vue : le point de vue interne, où nous les connaissons intimement de par la rédaction des annales, où ils confient leurs pensées, et le point de vue externe où ils sont perçus par l'annaliste...et c'est là que l'on s'aperçoit à quel point une personne peut sembler différente, vu de son point de vue ou de celui de quelqu'un d'autre. Jolie mise en perspective !
Le changement d'annaliste amène également un changement de style, car chaque personne a sa façon d'écrire et de s'exprimer...pour le meilleur et pour le pire, mais c'est agréable de voir le style changer au fur et à mesure des tomes.
Pour conclure, ce cycle est une petite merveille de la fantasy et mérite pleinement son statut de pilier de la fantasy =D A lire !